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Je ne suis pas votre nègre, de Raoul Peck

Raoul Peck, réalisateur haïtien dont nous avons aimé tous les films, a imaginé cet important documentaire à partir de l’oeuvre de James Balwin, écrivain noir, né à Harlem en 1924. Enfant illégitime, élevé par un pasteur noir, il se rebelle très jeune et arrive à 24 ans à Paris, où il commence une oeuvre importante de romans et d’essais politiques sur la conscience noire.

Ayant eu accès aux documents inédits conservés par la jeune soeur de l’écrivain, Raoul Peck s’appuie sur « Remember this house » (« Souviens-toi de cette maison »), un manuscrit jamais publié de l’auteur sur trois leaders emblématiques de la lutte pour les droits civiques : Martin Luther King, Malcolm X, Medgar Evers. Tous trois assassinés avant l’âge de 40 ans.

En remontant à leurs histoires et leurs morts traumatiques, Raoul Peck montre l’exclusion et la violence indissociables de l’identité américaine, à la suite de James Balwin dont la pensée limpide s’est attaquée au problème numéro un de l’Amérique, soit son identité fracturée par la question noire qui n’a rien perdu de sa gravité avec le temps.

Un Président noir américain n’a rien changé à cette situation, vu la puissance d’inertie de la communauté blanche américaine. Dans cette vie séparée entre blancs et noirs, toute charge émotionnelle bute. La totale fermeture de l’incapacité à ressentir de l’empathie ou à s’identifier à un noir casse l’image du rêve américain. La culture dominante blanche a inventé la figure du « nègre », avec leur violence rentrée et une sexualité immature.

Le film est empreint de colère, mais bien sûr de vérité, à la croisée de l’intime et de l’universel.

Il parle de l’humiliation pour un noir de sortir avec un « blonde », ainsi sont-ils obligés de marcher séparément dans la rue. La pensée d’un homme noir sur sa condition qui, à force de bon sens rejoint celle de tous les opprimés, est exprimée sur une musique de jazz et de blues qui va droit au coeur, comme tout le film.

Déjà engagé dans ses précédentes réalisations (Lumumba, L’homme sur les quais, Quelques jours en Avril,...), Raoul Peck interroge la question raciale grâce aux textes percutants de Balwin, qui, fin analyste et ami des grands leaders du mouvement des droits civiques, est remonté aux origines du racisme. Puisant dans les textes écrits par lui, le réalisateur les juxtapose à des scènes d’actualité, démontrant que la pensée de l’écrivain a gardé sa vérité notamment lorsque celui-ci énonce que le racisme est constitutif de la nation américaine et serait encore aujourd’hui son pire ennemi, avec des mensonges fondateurs du pays, tels le massacre des Indiens et l’esclavage noir.

En tant que noir haïtien, la relation au racisme de Raoul Peck est fort différente.

Aussi la voix de Balwin – qu’il avait lu dans sa jeunesse – lui paraissait indispensable au point de mettre le spectateur en relation directe avec lui. On entend ses textes et on voit à l’écran sa présence élégante et svelte dans des images d’archives où il milite pour l’égalité raciale. L’écrivain, à la voix douce et au regard profond de ses yeux exorbités, s’intéressait beaucoup au cinéma et à l’image donnée du noir dans les films hollywoodiens, personnage qui devait mettre le blanc en valeur. Grâce à des extraits qu’il analyse, il nous renvoie à notre position de spectateur complice.
Restant dans le registre du documentaire - mais ce serait plutôt un essai, car c’est loin d’être une captation du réel - Raoul Peck réussit une dénonciation qui transcende son sujet. L’originalité du regard qu’il porte n’enlève rien au poids du film, ni au message, ni à la rage de Balwin. Le texte inachevé qu’a laissé celui-ci avait le but d’évoquer la discrimination et d’affirmer ses qualités d’esthète et de témoin distant. Homosexuel et noir, il préférait rester en France. Il est mort à Saint-Paul-de-Vence, en 1987.

Copyright Dan Budnick

Sorti en février aux Etats-Unis, « I am not your negro » a remporté un énorme succès pour un documentaire et a été nommé aux Oscars 2017.

Présenté récemment en avant-première sur ARTE, la voix off est assurée par Joey Starr en français et par Samuel L Jackson en VO.
Caroline Boudet-Lefort

Pour regarder le film en Replay cliquez ici

Photo de Une (détail) Copyright Dan Budnick

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