Aussi est-on étonné qu’il choisisse de parler de Jackie Kennedy et de revenir sur l’assassinat de JFK. Déjà dans « Neruda » (sorti récemment), il s’attaquait à un personnage célèbre disparu, mais c’était le poète chilien engagé à gauche. Pour son nouveau film « Jackie », il choisit la first lady, Jacqueline Bouvier Kennedy, l’épouse de JFK, que Natalie Portman incarne avec subtilité et émotion.
L’astucieux procédé – quoique classique - de l’interview d’un journaliste permet à la « première dame » de revenir sur les journées qui ont immédiatement suivi l’assassinat du Président des Etats-Unis à Dallas et sur l’obligation de faire des choix concernant les funérailles qu’elle souhaite solennelles.
Pour cela, elle s’oppose aux représentants nationaux, aux responsables de la sécurité et aux intimes, car tous craignent un nouvel attentat. Jackie veut suivre à pied le cercueil, avec les chefs d’Etat venus de tout le globe. Est-ce pour la mémoire de son mari ? Ou pour elle-même qui se veut le centre du monde ? L’ambiguïté est bien exprimée, alors que tous les yeux se portent sur elle. Et sur les enfants dont elle a voulu la présence. Les images de ce moment feront d’ailleurs le tour du monde.
Après avoir été first lady, elle n’est plus rien, mais, en jouant sur tous les tableaux, elle persiste dans son désir de célébrité et de reconnaissance sociale. Elle a toujours voulu exister pour elle-même. Au fil des heures qui ont suivi la mort de JFK, la jeune femme devient désespérément mécanique et froide, avec un coeur qui se met à battre trop fort. Pablo Larrain alterne les vues frontales très posées et multiplie les gros plans bougés pour les scènes d’émotion et de désarroi. Le spectateur ne peut qu’être touché par l’horreur du drame vécu par cette jeune femme qui pourtant doit tenir son rôle dignement. Elle s’abandonnera un peu en confidences dans une rencontre avec un prêtre qui lui dit qu’elle peut encore « refaire sa vie ».
Dans ce récit éclaté qui suit Jackie Kennedy durant ces trois jours qui séparent l’assassinat du Président de ses obsèques, le film circule entre l’interview du journaliste de Life et les flash-back sur les décisions à prendre en urgence, l’annonce du décès aux enfants, le serment prêté par Johnson auprès du cercueil, le retour sur la fusillade fatidique qui a fait s’écrouler la tête de son mari sur son - devenu célèbre - tailleur rose avec toque assortie.
L’enchaînement du récit reconstitue en noir et blanc, comme la télévision de l’époque, l’émission où Jackie Kennedy avait fait visiter la Maison-Blanche.
Elle présente les transformations qu’elle y a faites et s’attarde sur les Présidents historiques des Etats-Unis qui ont habité l’immense demeure, dont Lincoln, lui aussi assassiné.
Cette tranquille chronique, presque froide, se déroule par bribes successives. Mais le glacis sophistiqué de l’image ne gèle pas la sensibilité de quelques grands acteurs. A commencer par Natalie Portman, impeccable en impeccable Jackie Kennedy. Cependant, malgré la coiffure, le maquillage, les vêtements, et même le maintien avec un magnifique port de tête, l’actrice reste reconnaissable sous sa perruque gonflée années 60. Billy Crudup interprète le journaliste de Life qu’elle contredit souvent pertinemment, Peter Sarsgaard est Bob Kennedy, dénonçant le vertige du spectacle des funérailles de son frère John Fitzgerald Kennedy que l’on voit fugacement, interprété par Caspar Pillipson. John Hurt incarne le prêtre avec qui Jackie a un long et passionnant entretien montrant la complexité de ses sentiments. Pour sa gouvernante, on s’étonne de découvrir Greta Gerwig, habituée à des personnages comiques. Dommage pour ce film émouvant que la musique soit aussi dissonante et envahissante.
« Jackie » a obtenu le prix du meilleur scénario à la dernière Mostra de Venise, et Natalie Portman est en lice pour un Prix d’interprétation aux Oscars.
Caroline Boudet-Lefort