Premier film réalisé par deux jeunes Italiens avec des acteurs inconnus, Salvo n’est pas un film de plus sur la mafia sicilienne, quoique... Tueur solitaire et homme de main d’un parrain crépusculaire, Salvo est chargé d’un « contrat ». Après avoir échappé à un guet-apens meurtrier, il doit régler son compte à un petit caïd local, mais la rencontre avec la jeune soeur aveugle de l’homme à abattre va bousculer la situation. Tirant profit de son handicap, c’est sur la pointe des pieds qu’il exécute le contrat. Dans une maison pleine d’ombres, la jeune aveugle devine une présence. Ses autres sens étant exacerbés par sa cécité, sa perception lui permet de comprendre la fatalité de ce crime prévisible. La scène se passe hors champ, évitant toute violence visuelle au spectateur pour le coup aussi aveugle que la jeune fille. Comme elle, celui-ci doit deviner ce qui se passe. Le visible et l’invisible, le clair et l’obscur, sont les atouts majeurs du film que les réalisateurs savent utiliser à bon escient. Tout le film en est contaminé, imprégné. De Palerme, on ne voit que des faubourgs oubliés, des hangars perdus au fond de banlieues pourries.
Au lieu d’éliminer tout témoin, Salvo enfreint la loi du milieu en enlevant la jeune fille qui, sous le choc, retrouve en partie la vue – ou est-ce un miracle dû à l’imposition de ses mains ? - Ah ! Qu’il est joli garçon l’assassin de mon frère ! Un lien trouble se noue entre l’aveugle et le tueur. Cependant, leur attirance reste hypothétique, plutôt signifiée par de subtiles suggestions, d’infimes détails, des apartés qui dessinent leur lien et rend le film attachant, car finalement l’intrigue de ce polar fantomatique est de peu d’importance. Le cadre insolite de la pénombre d’une maison isolée, une excellente bande son (craquements des pas, aboiements de chien, clapotis des vagues, souffle du vent, une voix au loin...), de très bons interprètes et surtout une atmosphère vénéneuse avec une constante tension haletante sont les éléments majeurs de ce film captivant du début à la fin.
Impressionnant, intense et mutique, Salvo (excellent Saleh Bakri au regard froid) évoque le taiseux au masque inexpressif du Samouraï de Jean-Pierre Melville. Le silence dû au mutisme du tueur et à la peur de la jeune aveugle terrifiée accentue l’atmosphère tendue. La canicule et la mafia sicilienne donnent chaud dans ce film hanté par la poisse, mêlant suspense et drame intimiste. Cependant très (trop ?) maîtrisé, il s’écarte de toute émotion. Salvo a été récompensé du Prix de la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes.