Le prospère marchand de chevaux, Michael Kohlhaas, figure légendaire du XVIe siècle ressuscitée par Kleist, est un homme simple et droit aux façons de paysan. Il mène dans l’aisance une vie familiale exemplaire et s’est forgé au contact des hommes et des choses un courage toujours égal. Mais face à l’injustice, sa bienveillance disparaît pour laisser place à la colère. Lorsque deux de ses chevaux sont interceptés et malmenés par un cynique petit noble abusant de sa position, il n’a de cesse que soit reconnu le tort subi. Aussi lorsque sa femme, l’aidant dans sa quête, est assassinée, il s’obstine d’autant plus fanatiquement : il lève une armée et mène bataille jusqu’à obtenir justice. Pour le rétablissement de son droit, il met les villes à feu et à sang, incendie, pille et ravage bouleversant la société comme celle-ci a bouleversé son existence.
En adaptant librement un court roman philosophique de Kleist, publié en 1808, Arnaud des Pallières rend le sujet contemporain : il montre les dérives de l’abus de pouvoir, en accentuant la ligne de fracture entre justice et vengeance. L’histoire, transposée en France, est tournée dans de magnifiques paysages des Cévennes, ce qui n’est pas sans ajouter encore à l’austérité du film. Dans ce western féodal, le réalisateur accorde à la nature et au climat une place prépondérante. Le souffle épique pressenti au début du film ne durera pas, tant et si bien que l’élan narratif du roman se perd dans la nature (au sens propre du mot) célébrée par d’immenses panoramiques et le récit devient parfois trop démonstratif. Difficile de rapprocher ce nouveau film d’Arnaud des Pallières de ses précédents très conceptuels. Devant cette rébellion contre un ordre corrompu, il choisit un dénuement à la Bresson, une distance janséniste, en organisant une réflexion abstraite sur la justice et la politique. La beauté des personnages féminins ou masculins, ou des trognes selon leurs fonctions, procurent des images dont certaines semblent des tableaux de maîtres du Moyen Age ou de peintres flamands.
Raide et droit comme la justice, Mads Mikkelsen est époustouflant dans le rôle-titre : il exprime autant la droiture que l’inflexibilité et l’orgueil. Il s’accapare la destinée de cet homme intègre qui ne se soumet pas et veut un procès équitable, (bien qu’en costumes, ce pourrait être un héros de notre temps). Le comédien joue en majesté sa solitude superbe et son héroïsme désespéré lorsqu’il est confronté à une injustice flagrante. Tous les autres rôles, forts bien distribués, sont impeccables : Denis Lavant, Sergi Lopez, Roxane Duran, Bruno Ganz, Mélusine Mayence, Amira Casar... Chaque personnage de passage s’inscrit parfaitement dans le récit de ce film austère et radical, très différent du reste de la compétition cannoise. Soulignant la contradiction poignante du marchand, la fin, très belle, n’est pas dénuée d’ambiguïté.
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