Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes Ilo Ilo a obtenu (à l’unanimité du jury) la Caméra d’Or accordé à un premier long-métrage. Son jeune réalisateur de moins de 30 ans, Antony Chen, est né à Singapour, où il a tourné son film situé à la fin des années 90, au moment de la crise économique asiatique. Il a d’ailleurs eu bien des difficultés de trouver des lieux correspondant à l’époque, vu le modernisme galopant, actuellement, dans cette cité-Etat.
Le film, sensible et délicat, raconte une modeste chronique familiale axée sur la relation entre un gamin tête à claques et sa nounou venant des Philippines qu’il rejette avant de s’y attacher fortement. Plutôt aisés, les parents travaillent tous deux et leur relation s’effiloche. Lâche et coincé, le père, victime de la crise de 1997, va se retrouver au chômage, sans oser l’avouer à sa femme qui attend un deuxième enfant. Celle-ci, brusque et tyrannique, se montre inattentive à l’autre, surtout préoccupée par l’argent. Du haut de son autorité, elle installe sommairement la jeune domestique à son arrivée et, d’emblée, lui confisque son passeport. Rien d’exceptionnel donc dans cette vie familiale, sinon l’accumulation de bêtises que l’odieux gamin multiplie pour attirer l’attention de ses parents indifférents.
La domestique couvre les écarts souvent violents et fourbes du gamin rebelle. A force de patience et d’abnégation, elle brise la carapace de l’affreux jojo et conquiert une sorte de complicité avec lui, sans pour autant déborder de sa place. S’ils s’apprivoisent l’un l’autre, leurs sentiments restent secrets, rien ne se dit, tout se devine à travers des regards et des gestes. Le film s’inscrit dans le contexte économique qui impose à la jeune philippine, afin de garder son emploi, de subir les humiliations de la mère et les fourberies de l’enfant. Ce petit drame familial soulève donc aussi le problème de l’immigration : la domestique donne des coups de fils déchirants à sa famille lointaine à laquelle elle a dû confier son enfant en bas âge. Aussi paiera-t-elle cher l’insolence et la fourberie du gamin agressif et pervers.
Le film raconte par petites touches l’intériorité de personnages ordinaires et la fluidité des mouvements de caméra rend évidente la moindre des émotions, mais il montre aussi, en toile de fond, le modèle libéral de ce micro-Etat qui ne s’applique pas qu’à l’économie. On y voit l’exploitation des immigrés démunis, la dureté des rapports d’argent, la réussite à tout prix, la peur du « qu’en dira-t-on », le système scolaire répressif... Rien n’est ouvertement dénoncé, juste de minuscules détails qui en disent long, sans militantisme ni même aigreur.
Ilo Ilo est le nom d’une petite ville d’où venait une nounou que le réalisateur a eu enfant. Aussi peut-on supposer qu’il y a une part autobiographique dans ce film tout en délicatesse et d’une extrême sensibilité. S’il reste une impression de déjà-vu et s’il est facile de deviner dès le début l’inévitable évolution de l’histoire et des sentiments, le film n’en est pas moins attachant de bout en bout avec une fin douce-amère qui nous laisse la gorge serrée.