Les Monstres
Voici l’un des meilleurs films de la Sélection Cannoise 2014 et une fois n’est pas coutume, il est russe.
Contrairement aux nombreux pensums interminables auxquels la Russie et, avant elle, l’Union soviétique nous avaient habitués, Leviathan, quatrième réalisation du très prometteur Andrey Zvyagintsev, jeune quinquagénaire précédemment auteur de films comme "Le retour", Lion d’Or à Venise en 2003, "Le bannissement" ou l’excellent "Elena", prix du jury Selection Un Certain Regard 2011 à Cannes, contient tout ce qui caractérise le grand cinéma, à savoir :
Un scénario solide, des acteurs remarquables, un humour caustique, un propos ambitieux et le tout servi par une réalisation somptueuse avec cadrages magnifiques et plans séquences d’une extraordinaire fluidité.
A la fois universel et tellement russe, Leviathan, dont le titre fait bien évidemment référence au monstre biblique qui symbolise le chaos initial, la bête de l’Apocalypse, mais également au célèbre ouvrage éponyme du philosophe Thomas Hobbes dans lequel la métaphore du monstre désigne l’Etat, est une oeuvre riche à tous points de vue.
L’histoire apparente est celle d’un garagiste révolté, Kolia (A.Serebryakov) qui, avec sa jeune femme, Lylia (E.Lyadova) et son fils, Romka, habitent une petite ville au bord de la mer de Barents, près de Mourmansk, au nord de la Russie, et qui se voient dépossédés de leurs biens sur fond de spéculation immobilière orchestrée par le maire de la ville, Vadim (Roman Maydanov, hilarant) archétype comique de corruption administrative et politique, qui souhaite s’approprier le terrain, la maison et le garage de Kolia.
Mais celui-ci ne se laisse pas faire et avec le concours d’un ami avocat, Dimitri (V.Vdovitchenkov), il va mener le combat désespéré d’un homme libre (le pot de terre) contre l’Etat Monstre et ses représentants (le pot de fer).
En parlant de son film, A. Zvyagintsev a dit :
".Si mon film est ancré dans le terreau russe, c’est seulement dû au fait que je ne ressens aucune parenté, aucun lien génétique avec quoi que ce soit d’autre.
Je suis profondément convaincu que, quelle que soit la société dans laquelle chacun de nous vit, de la plus développée à la plus archaïque, nous serons forcément tous confrontés, un jour ou l’autre à l’alternative suivante : vivre en esclave ou vivre en homme libre".
Majestueux brise glace allégorique dans un océan étatique de cynisme, de violence et de corruption ancestrales, Leviathan est donc un film qui dénonce avec habileté (belle construction narrative), humour (les portraits des présidents russes qui servent de cibles de tir sauf celui de Poutine...momentanément), audace (le discours sur la religion) et grâce (l’image du cachalot échoué reprise par l’affiche du film et dont Léviathan constitue le nom fabuleux depuis le roman de Melville, "Moby Dick") la tragique condition humaine et le peu de place qui est accordé à l’individu dans les sociétés organisées et gangrenées par le pouvoir absolu.
A voir absolument.