A Bogota, un ouvrier sans travail se retrouve avec son fils sur les bras.
Le garçon d’une dizaine d’années a été largué par sa mère qui ne peut plus s’occuper de lui, aussi débarque-t-il avec son chien chez son père (Carlos Fernando Perez) qu’il connaît à peine. L’enfant n’a que mépris pour ce loser vivant de bric et de broc dans un appartement minuscule et qui galère d’un boulot au noir à l’autre. Parmi ses jobs précaires, il travaille comme menuisier pour une bourgeoise aisée qui décide de prendre l’enfant sous son aile, en voyant la difficulté qu’a cet homme démuni à subvenir à leurs besoins. De plus il est dans l’incapacité de construire une relation avec son fils venu bouleverser sa vie. La misère ronge tout lien entre eux, tel un acide sur un métal.
Pleine de générosité, cette femme bienveillante (Alejandra Borrero) les invite dans la somptueuse maison de campagne où toute sa famille se réunit pour les fêtes de fin d’année.
L’inégalité entre riches et pauvres a vite fait de se manifester et les rapports de classe deviennent blessants, se révélant d’un côté comme de l’autre.
Les pauvres prennent conscience de ce qu’ils ne pourront jamais posséder et les riches n’arrivent pas à tolérer cette intrusion dans leur monde. Ils ne se gênent pas pour manifester leur rejet.
Toute la famille reproche à cette généreuse bourgeoise son attitude et la tendresse du regard qu’elle porte sur ce gamin, ce qui a pour effet d’agacer ses propres enfants.
En permanence la tension circule des uns aux autres. Tous les maux de l’exclusion sautent aux yeux. Certes, la violence n’explose pas comme dans une guerre, mais elle arrive lentement, se met à planer dans l’air.
Avec une sensation de danger impalpable, l’enfant discerne parfaitement ce qui se passe et se voit déjà fait aux pattes avant même d’avoir pu exister.
Il prend conscience de la hiérarchie sociale avec ses codes et ses rituels. La bonté a ses propres limites, surtout encombrée des valeurs d’un catholicisme très prégnant en Colombie. Aussi viendra le temps où s’éteignent les bonnes intentions d’une charité irresponsable. Le réalisateur dénonce la laideur de la société libérale et les barrières infranchissables du déterminisme social, quoi qu’il dise surtout s’être soucié de la filiation et de la difficulté de l’enfant à appartenir à une famille. La différence de milieu, la différence de culture et le regard des autres sont autant d’obstacles dans les deux classes sociales non prédisposées à se croiser.
Aucun pathos dans ce conte moral atemporel qui montre des gens riches fermés jusqu’au déni et crispés sur leur confort, ce qui rend l’enfant d’autant plus émouvant et fragile même dans ses moments d’illusion au cours d’une belle balade nocturne à cheval.
Le jeune Brayan Santamaria porte le film avec une intensité et une énergie rageuse qui évoquent celles de Jean-Pierre Léaud dans les « 400 coups ». Il a le même visage joufflu et le même regard de chien battu quand il découvre la cruauté d’un monde qui ne veut pas de lui.
Ce premier long-métrage de Franco Lolli, jeune cinéaste colombien passé par la Femis, a été présenté à la Semaine de la critique du Festival de Cannes de mai dernier.