Pascale Ferran est une réalisatrice trop rare ! Son premier long-métrage, « Petits arrangements avec les morts », date de 1993 et « Lady Chatterley » de 2007. C’est dire que ce troisième film était très attendu, d’aucuns lui donnaient d’emblée la Palme s’il avait été sélectionné à Cannes en compétition, alors qu’il a été présenté dans la section « Un certain regard ». Justement c’est un regard affolé que Pascale Ferran pose sur les « non-lieux » que sont les hôtels standardisés, les transports en communs, les aéroports,...
Après les images d’une foule d’anonymes aliénés au numérique, la caméra s’attache à un jeune Américain, ingénieur en informatique, en transit dans l’univers d’une chambre aseptisée d’un luxueux hôtel de l’aéroport de Roissy. Soudain il décide de changer de vie... En parallèle, la caméra suit aussi la trajectoire d’une étudiante qui travaille comme femme de chambre dans le même hôtel. Accessoirement s’ajoute un dessinateur japonais et quelques oiseaux dont l’un se révèle un formidable « comédien ». Il faut dire que Pascale Ferran et son équipe ont passé beaucoup de temps à s’intéresser aux moineaux pour ce tournage et encore plus longtemps pour le montage, puisant dans des heures et des heures de rushes afin de fabriquer les plans d’oiseau à partir de petits bouts de prises. Un vrai travail de dentelle !
Tour à tour mutine et inquiète, Anaïs Demoustier trouve son meilleur rôle sachant garder une part mystérieuse en accord avec ses aventures surnaturelles. Avant le tournage, elle a fait un stage dans un hôtel pour ritualiser au mieux les gestes d’une femme de chambre : ouvrir une porte, écarter les rideaux, découvrir l’intimité du client, .... Quant à Josh Charles, il est parfait de vérité dans sa détermination à ne plus jouer le jeu social imposé. Nous pensons évidemment au Bartleby de Melville qui répétait « I would prefer not to ». Son personnage lui dit avoir « l’impression de se dissoudre comme un bout de sucre au fond d’une tasse. » Il affronte à distance partenaires professionnels et épouse, il fuit en s’armant de sa fuite et nous sommes heureux pour lui de sa décision. Sans projet de rechange, il réussit à s’envoler vers un ailleurs, comme les avions qu’on voit sans cesse décoller.
A mi-parcours de ce film surprenant, le spectateur est dérouté par un « événement » (dont nous ne dirons rien !) : une idée de film fantastique éloignée du cinéma « d’auteur français », où se situe l’oeuvre de Pascale Ferran. Celle-ci s’intéresse à ce qu’elle nomme « les films du milieu », ces bons films sans gros budget qui ont souvent des difficultés à trouver leur place sur les écrans parmi les multiples sorties hebdomadaires. Elle en a conclu que « le milieu n’est plus un pont mais une faille ».
Sous son aspect romantique et même poétique, Bird people nous réapprend à regarder en montrant beaucoup de choses de la société d’aujourd’hui : la solitude de chacun face à son écran, l’offense d’un travail peu qualifié, la longueur des trajets, la contrainte des horaires, dormir dans sa voiture... Aussi malgré son allure de conte magique, et donc sans rien de démonstratif, ce film n’écarte pas la réalité qui nous crève les yeux et le coeur...
Bird People
Film de Pascale Ferran
Sortie en salles le 4 juin 2014
Photo de Une : © Carole Bethuel