Juliette Binoche succèdera à la réalisatrice américaine Greta Gerwig. Ainsi, pour la deuxième fois dans l’histoire du Festival, deux artistes féminines se transmettront ce prestigieux flambeau.
“ J’attends avec impatience le partage de ces moments de vie avec les membres du Jury et le public. En 1985, je montais les Marches pour la première fois avec l’enthousiasme et l’incertitude d’une jeune actrice ; je n’imaginais pas revenir 40 ans après dans ce rôle honorifique de Présidente du Jury. J’en pèse le privilège, la responsabilité et la nécessité absolue d’humilité. ” a déclaré Juliette Binoche.
À chaque édition, le Festival de Cannes rassemble et explore : des nationalités, des cinématographies, des sensibilités, des genres, des sujets… C’est précisément ce que Juliette Binoche choisit de faire très tôt dans une carrière jalonnée de quelque 70 films et 40 années de curiosité artistique depuis son premier grand rôle dans Rendez-vous d’André Téchiné, présenté sur La Croisette en 1985. « Je suis née au Festival de Cannes », déclare-t-elle souvent.
Quatre décennies l’ont transformée en star internationale, initiant collaborations inattendues et scénarios qui lui tiennent à cœur. Ce cheminement instinctif au cœur de la création mondiale lui confère rapidement une aura incontournable auprès de cinéastes d’une constellation sans frontières : Michael Haneke (Autriche), David Cronenberg ou Abel Ferrara (États-Unis), Olivier Assayas, Leos Carax ou Claire Denis (France), Amos Gitaï (Israël), Naomi Kawase ou Hirokazu Kore-eda (Japon), Krzysztof Kie ?lowski (Pologne), Hou Hsiao-hsien (Taïwan)…
Nul autre film ne peut mieux exprimer cet appétit inextinguible que Copie conforme d’Abbas Kiarostami qui lui offre le Prix d’interprétation à Cannes en 2010 : dirigée par un réalisateur iranien au cœur de la campagne toscane, face à un chanteur d’opéra britannique, Juliette Binoche illumine cette histoire universelle mêlant l’amour et l’art et leurs faux-semblants pour mieux cerner leur vérité. Après ce cinquième film de la comédienne présenté en Sélection officielle, quatre suivront jusqu’à La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hùng en 2023.
Auréolée des plus prestigieuses récompenses (Oscar, Bafta, César, prix d’interprétation à Berlin et Venise…), Juliette Binoche ne recherche pourtant pas la virtuosité, préférant ne faire confiance qu’à l’émotion et à la vérité de l’instant qui échappe. Sans doute encouragée, comme le souligne Louis Malle après Fatale, par « l’histoire d’amour entre elle et la caméra, une présence et une intensité stupéfiantes ». Le grand écart entre ses interprétations chez le seul Bruno Dumont – de l’épure (Camille Claudel 1915) au burlesque (Ma Loute) – illustre ce goût de la liberté et ce courage de se remettre sans cesse en jeu. C’est sans doute pourquoi est-elle si multiple et imprévisible dans son art – ses arts devrait-on dire tant elle s’échappe des écrans de cinéma pour les séries (The Staircase, The New Look), le théâtre (Ivo van Hove), la danse (co-création avec Akram Khan), la musique (Alexandre Tharaud) ou la peinture.
Les échos du monde résonnent à travers la voix de cette citoyenne engagée
L’éducation, les sans-papiers, les droits humains en Iran – on se souvient de sa protestation à Cannes contre l’emprisonnement de Jafar Panahi dont elle avait brandi le nom sur scène –, la toute nouvelle Présidente de l’Académie européenne du cinéma se place également dans le sillage essentiel des prises de parole autour du mouvement #MeToo : elle livre ainsi avec générosité et responsabilité les expériences fragilisantes de ses débuts. Elle joue également de son influence pour alerter régulièrement les consciences sur les dangers écologiques qui menacent notre planète.
Ses engagements à grande échelle rappellent ceux d’Olivia de Havilland, restée dans les mémoires pour avoir bousculé la toute-puissance des studios américains. Cette légende d’Hollywood avait été Présidente du Jury du Festival de Cannes en 1965, laissant la place pour la première fois à une autre femme, également légende du 7e Art venue de Cinecittà, Sophia Loren. C’était il y a 60 ans. Telle une lointaine mais jolie filiation, la présence de Juliette Binoche célèbre et rapproche les étoiles à travers le temps.