Découvert au Festival de Sundance avant d’être présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2012, le documentaire de Rodney Ascher est un véritable ovni américain, drôle et intrigant. Room 237 explore les multiples théories farfelues élaborées autour de la véritable signification du film Shining de Stanley Kubrick, inspiré d’un roman de Stephen King. Le réalisateur donne la parole à cinq personnes obsédées par le chef d’oeuvre de l’horreur, en ne montrant jamais le visage de ces gentils cinglés. Leurs paroles et leurs divagations roulent en toute liberté tandis qu’un montage d’images défile sous nos yeux éberlués.
Room 237 est le numéro de la chambre de l’hôtel Overlook dans laquelle Jack Nicholson embrasse une belle femme qui, sous son étreinte, se décompose en sorcière au corps putréfié. Overlook, c’est « regarder par-dessus » ou « surveiller, avoir l’oeil sur ». Déjà, Kubrick voulait-il suggérer d’aller voir plus loin dans son film, est-ce ce qui a donné l’idée à quelques fétichistes de signes et de symboles d’y regarder de plus près ? Tout fait signe dans son film et l’on sait bien que Kubrick était attentif au moindre détail, ne laissant rien au hasard. Expert et redoutable joueur d’échecs, il cherchait sans cesse toutes les combinaisons possibles s’entraînant pour ses films.
Ainsi le tee-shirt de Danny, le petit garçon, porte le chiffre 42. De même, la machine à écrire allemande, sur laquelle Jack Torrance (Nicholson) fait semblant d’écrire son roman, porte aussi le numéro 42, renvoyant à 1942, date de la mise en place de la « solution finale ». On peut y ajouter les voitures stationnées sur le parking de l’hôtel qui sont 42, bien évidement ! Kubrick était très concerné par cette période de l’Histoire. Les flots de sang qui surgissent d’une chambre sont l’expression de l’extermination sanguinaire. Des bagages laissés dans le hall de l’hôtel, c’est la fuite, l’exode... La moindre scène donne lieu à une interprétation de la part de ces exégètes fans ou chercheurs universitaires et, vu le nombre de détails qui le parsèment tout du long, le film serait un grand message subliminal évoquant le génocide nazi.
Le génocide des Indiens est aussi évoqué par des boîtes de conserve « Calumet » montrées au cours du film, ainsi que des images secrètes des premiers pas sur la Lune en 1969, en fait tournées en studio par Stanley Kubrick quand il réalisait 2001, Odyssée de l’espace. La preuve en serait donnée, de façon cryptée, dans Shining ! Et donc, les mensonges de Jack dans le film seraient ceux de l’Etat américain. L’un des farfelus, passant le film en même temps à l’endroit et à l’envers et en superposant les images, obtient un résultat pour le moins surprenant ! De plus, un jeu de piste reproduit le plan de l’hôtel, à l’obsédante architecture symétrique, plein d’indices cachés relevés avec un plaisir maniaque par ces givrés obsessionnels. De prime abord comiques, leurs démonstrations sont pourtant convaincantes, et le spectateur reste sidéré devant les théories échafaudées sur les sens cachés de ce film mythique. Certaines paraissent délirantes, mais pourquoi pas plausibles, et ce qui semble des élucubrations d’esprits dérangés est peut-être vrai.
Les illustrations abondent avec un malicieux montage d’extraits, choisies avec un regard maniaque et quelques miettes de délire. On peut voir une lecture sexuelle - la chambre 237 - ou mythologique, lorsque Jack devient le Minotaure dans le labyrinthe de la fin. Le spectateur lui aussi tourne en boucle, perdu dans la multiplicité de découvertes et d’interprétations possibles. Vu tout ce que Room 237 lui révèle et le pur plaisir qu’il y trouve, il sera sûrement impatient de revoir le film original.