Sur le point de monter à Hiroshima sa propre lecture de « Oncle Vania » de Tchekhov dans un Festival de Théâtre, Yusuke, un acteur et metteur en scène, se voit imposer par la production un chauffeur, bien qu’il n’aime pas que sa rutilante voiture soit conduite par un autre que lui-même. Ce chauffeur est une toute jeune fille qui conduit à la perfection, il doit bien le reconnaître. Peu loquaces - surtout elle qui garde un visage figé ne montrant jamais ses sentiments -, leurs conversations seront minimes. C’est dans les silences et sous les mots que chacun d’eux va percevoir ce que ressent l’autre. Et c’est au spectateur d’être tout autant réceptif à cette subtile sensibilité. Tout est infime, parfois même non-dit.
Comme le sentiment de culpabilité enfouie que chacun devine chez l’autre. Ce seront pourtant les mots qui aideront à guérir, ainsi que dans une analyse. La voiture symbolise l’errance, comme si se déplacer pouvait apporter un certain apaisement. Durant d’incessants allers-retours en voiture, la réalité se nourrit de confidences pour former un tout : une relation qui évolue insidieusement vers l’intime.
Chaque scène est un défi pour les acteurs entre le dit et le non-dit, l’objectif et le subjectif.
Même muette, l’une et l’autre des deux présences emplit l’espace sans jeu exagéré, sans composition de leur personnage, sans se diluer dans leur rôle pourtant bouleversant. Car, chaque personnage a un deuil dont il ne s’est jamais remis et ne semble rien avoir à espérer de l’existence, comme s’il avait déjà un pied dans l’au-delà. Ce n’est certainement pas un hasard si c’est une pièce de Tchékhov que Yusuke met en scène. Tout reste entre les mots.
Entre la chauffeuse à la casquette fixée sur la tête et son passager intello s’instaure une relation imprévisible – sur la base de leurs conversations qui tournent à des confidences. Cette intimité va aider l’un et l’autre à se reconstruire. Ces épisodes presque surnaturels montrent leurs secrets sur l’écran, tels de captivants flash-back avec des trajectoires insolites dans leurs existences. Telles aussi, par exemple, ces scènes où Yusuke assiste aux infidélités de sa femme.
Les comédiens qui répètent « Oncle Vania » paraissent vivre dans des sociétés différentes. Les rôles distribués sont multilingues, même la langue des signes est représentée, afin de montrer l’universalité du théâtre. Comment filmer les mots ? Yusuke débat de la pièce avec les comédiens pour dire que le jeu de l’acteur ne fait pas tout. Selon son point de vue, la réalisation a son importance avec sa distance par rapport au texte. A l’étonnement de tous, Yusuke a choisi pour jouer le rôle principal un jeune comédien venu de la télévision qui a entretenu une liaison avec sa femme. Il sera obligé de le remplacer.
De film en film, le cinéma de Ryûsuke Hamaguchi est de plus en plus talentueux et admirable.
Plein de subtilités, « Drive my car » croise plusieurs épisodes qui se mêlent dans la vie de Yusuke parfois dans de troublantes scènes d’amour ou de tristes moments de solitude.
On pense à Rivette pour l’amour de la fiction, à Bergman pour « Après la répétition », à Kiarostami pour le temps en voiture... On admire surtout ce film tout en sensibilité, où la scène finale est des plus surprenantes.
Splendide et passionnant, ce film dure 3 heures qu’on ne sent pas passer. Il aurait bien mérité de décrocher la Palme d’Or au récent Festival de Cannes. Il a reçu le prix du scénario.
Caroline Boudet-Lefort