C’est le film “Take Shelter” de Jeff Nichols, réalisateur de 33 ans qui reçoit le Grand Prix. L’interprétation admirable de Michael Shannon en père de famille victime de cauchemars, proche de la schizophrénie paranoïde dont était déjà atteinte sa mère, doublée du thème, font de cette œuvre parfois lourde car peuplée de tant d’interrogations sur le mental pas toujours accessibles au cinéma, une quête de la vraisemblance face au délire. A t-on affaire à un malade ou à un prophète ?
A ses côtés, Jessica Chastain (The Tree of Life). Le paysage apocalyptique de tornade noire à l’horizon et de quelques oiseaux qui s’abattent mortellement poussent notre héros à agrandir l’abri à côté de chez lui. Entre moments d’imminents dangers : installation dans l’abri, port des masques à oxygène et relatives accalmies, on pense aux obsessions d’un Anthony Perkins ou à la menace des “Oiseaux” d’Hitchcock et évidemment à l’actualité de ces dernières années : tsunami, inondations, tremblements de terre. Cette Nature omniprésente et de grande solitude entretient une tension malgré des pesanteurs de scénario. Sortie début décembre.
On n’oubliera pas dans le même registre mais non récompensé “Another Earth” de Mike Cahill : une planète à l’identique de la Terre va entrer en contact avec nous.
Veut-elle nous dominer ou est-ce l’occasion d’une deuxième chance comme un clone ? Ce surgissement serait le fait de la mauvaise conscience, de ce qu’on n’a pas réussi à l’image de cette astrophysicienne, Rhoda (interprétée par Rhoda Williams, coscénariste) qui a commis une grave erreur à l’origine de l’apparition et qui a provoqué notamment un accident de voiture à un musicien, John, pour lequel la vie est brisée. Leur rencontre va dévoiler leurs sentiments : John réagit avec peur tandis que Rhoda nourrit l’espoir d’une rédemption. Une portée métaphysique évidente dans cette fiction fantastique spéculative : c’est la théorie du miroir brisé selon laquelle dès que deux terres parallèles sont connues l’une de l’autre, leur synchronisme est brisé et le destin des gens de Terre 2 devient différent de ceux de la Terre. Passionnés d’univers et désireux d’en savoir plus sur l’univers, les deux scénaristes travaillent les peurs et la conscience. Sortie le 12 octobre.
Un habitué de Deauville, Abel Ferrara, égal à lui-même, présentait également une vision noire du monde dans “4:44 Last Day on Earth”, une fable esthétique et philosophique hors compétition sur les heures qui séparent l’humanité de son élimination. On suit de près un couple dans un appartement haut en étage, symbole d’un regard panoramique sur la ville. Elle est peintre, lui est acteur. Ce qui est prévu est irréversible : la fin du monde pour tous à 16h44. Si le temps s’écoule mollement pour le couple, interprété par Willem Dafoe et Shanyn Leigh, façon “Montres molles” de Dali où tout est rendu dérisoire et vain autour d’eux, les avertissements, admonestations en tous genres se font pressants de par le monde : celles d’Al Gore, ancien vice Président des Etats Unis, spécialiste des questions d’environnement, que l’on revoit, des médias pris de court et dans l’impossibilité pour une fois d’assurer le direct jusqu’au bout évidemment ou du point de vue des communautés bouddhistes ou musulmanes. Une vision détachée entre ceux que
l’espoir habite encore et ce couple en osmose qui accepte son sort. Malgré des longueurs témoignant certainement de l’état d’inutilité et d’immobilité du couple, les diverses approches de l’évènement sont très intéressantes et très iconoclastes.
Prix de la Critique Internationale et de la Révélation Cartier pour “Detachment” de Tony Kaye, l’auteur de “American history X” venu présenter son film, guitare à la main façon rock star ou sage, les cheveux longs et la longue barbe grise à 59 ans déclenchant à la fin de la projection un tonnerre d’applaudissements. Il traite d’éducation à travers le sujet sensible d’un professeur remplaçant dévoué à ses élèves en une sorte de rédemption tout en les fuyant, statut de remplaçant oblige, malgré une ambiance d’enseignants dépressifs et d’adolescents violents. Adrian Brody campe avec maestria ce prof qui semble se fuir lui-même au travers de son court passage dans cette banlieue new yorkaise.
Son attention totale à son public scolaire, loin de l’apparence et de l’image qui broient, illustre les propos du réalisateur lui-même attaché à des sujets qui font écho à la réalité : “Nous sommes là pour aider les autres par l’éducation afin de ne plus faire qu’un face au chaos”. Sortie tardive le 7 décembre.
Des adolescents en crise il en aura été question comme dans “Terri” d’Azazel Jacob où grâce à l’engagement d’un proviseur interprété par l’excellent John C. Reilly, que l’on retrouve dans beaucoup d’œuvres qui traitent du malaise de la jeunesse : on se souvient de “Cyrus” présenté à Deauville l’an passé ou de “We need to talk about Kevin” remarqué au dernier Festival de Cannes. Ici il s’agit d’un jeune élève obèse qui va pouvoir être intégré et se faire des copains dans cette petite ville de province qui, au premier abord, stigmatisait la différence.
”All she can” également, d’Amy Wendel dépeint une bourgade du Texas où des filles bien que menues, appartenant à la communauté mexicaine, s’adonnent à l’haltérophilie dans leur lycée où des recruteurs de l’armée traînent. Etre remarquées est leur seul espoir de palier aux difficultés économiques.
Ou bien “17 filles”, premier film français de Delphine et Muriel Coulin récompensé par le Prix Michel d’Ornano destiné à promouvoir la création et encourager les jeunes talents. Il s’agit d’un fait réel : aux Etats Unis, des lycéennes décident de tomber enceintes en même temps dans l’attente de ne pas suivre l’existence de leurs parents.
Mais c’est finalement “The Dynamiter”, premier film de Matthew Gordon qui remporte le Prix du Jury lequel rappelle par la voix de son Président, Olivier Assayas, “la richesse des films souvent réalisés avec des budgets minuscules et qui maintiennent une liberté d’écriture et de ton”.C’est le cas du difficile parcours d’un gamin de juste 14 ans, Robbie, qui doit s’occuper de son demi frère, Fess et de sa grand-mère. Il le fait avec une grande abnégation. L’été de sa 3ème, il trouve un job de pompiste. Sa mère, dépressive, est partie se faire soigner. Ce qui touche dans ce long métrage c’est l’espoir de ce jeune, bien qu’aux prises avec un quotidien d’adulte, de voir un jour sa famille se reconstituer. D’autant que son grand frère réapparaît mais celui-ci, plus manipulateur qu’honnête, ôte toute velléité à l’adolescent. Les services sociaux alertés par le proviseur menacent au contraire de lui reprendre Fess en l’absence de preuve de la présence de la mère. Une approche très réaliste et sensible du drame humain d’un enfant victime de la crise, de l’absence des adultes dont on apprend avec le héros à se méfier des promesses. Sortie prochaine.
Enfin l’hommage à l’immense et pourtant jeune actrice Naomi Watts fut encore un moment d’éclat dans cette 37e édition. Elle rappela en effet que sa collaboration avec Clint Eastwood récemment pour “J. Edgar” fut un tournant dans sa carrière. Elle loue son immense talent, son sens très précis de ce qu’il veut obtenir des acteurs et son équipe de personnes très professionnelles. On pense aux propos de Cécile de France à la sortie de “Au-delà” l’hiver dernier du même Eastwood. Elle se dit heureuse d’avoir participé au “très beau projet” de Jim Sheridan “Dream house la maison de l’horreur” même si elle n’a eu qu’un petit rôle mais c’était dans une grande histoire. En tant qu’actrice, elle aime être un outil entre les mains d’un réalisateur. Cela l’aide à mieux se comprendre elle-même dans l’approfondissement de son travail. On ne compte plus les succès de cette australienne d’adoption des “Promesses de l’ombre” de David Cronemberg à “Funny games U.S.” de Michael Haneke qu’elle produisit en passant par l’énigmatique “Mulholland Drive” de David Lynch qui marqua sa percée à Hollywood (elle sait gré d’ailleurs au réalisateur de lui avoir tendu la main) et le dernier “ King Kong” de Peter Jackson sorti en 2005. Depuis qu’elle est mère, elle se sent moins focalisée sur elle-même et lève un peu le pied même si elle aimerait prendre le temps de découvrir des livres à adapter dans le but de les produire. Elle aimerait tourner avec Kate Winslet, Thomas Anderson, Annet Bening qu’elle croisa seulement sur le tournage de “Mother and child” de Rodrigo Garcia, grand Prix de Deauville 2010, film sur l’adoption ou encore Meryl Streep. Elle est très fière d’avoir tourné “21 grammes” avec Sean Penn et Benicio del Toro. Elle garde un bon souvenir de Charlotte Gainsbourg et Vincent Cassel avec lesquels elle a tourné. Prochainement d’ailleurs elle sera dirigée par des réalisateurs français.
Ce qu’elle préfère comme phase de tournage c’est tout ce travail de recherche, de part cachée qu’on ne voit pas à l’écran quand il s’agit d’habiter un personnage. Par contre, elle est souvent déçue quand elle se voit sur la pellicule. A l’issue de cette presque consécration, on aurait préféré voir une avant première où Naomi Watts figurait d’autant qu’un film doit sortir début octobre.
Nous eûmes droit à une comédie dans les salles cette semaine : “Crazy Stupid Love” de Glenn Ficcara et John Requa ou la métamorphose d’un homme mûr qui apprend que sa merveilleuse femme l’a trompé. Le raffiné Lothario Jacob Palmer, l’acteur de “Drive”, Ryan Gosling entreprend de faire découvrir à Cal, son ami, les insoupçonnables perspectives de nouvelles rencontres qui s’offrent à lui. Or, le positionnement soudain de Cal fait que la baby sitter de son fils, Jessica, est maintenant éprise du père. Quant à Jacob, habituellement “tombeur” de ces dames, a pour la première fois des sentiments pour Hannah. Tout ce qui concerne l’amour, les rencontres, est censé éveiller notre curiosité. Le bouleversement de cet homme interprété par Steve Carell rejaillit certes sur tout son entourage mais tous les personnages n’en font ils pas un peu trop ? Les rebondissements semblent quelque peu présents pour nous amener à réfléchir sur les relations humaines et les différents âges de l’amour. Celui-ci implique l’inattendu certes mais pas l’emballement rocambolesque à rebonds mécaniques. Le thème de l’amour requiert davantage de pauses et d’atermoiements. Mais ce n’est pas le genre de la comédie américaine où tout doit aller très vite et faire rire efficacement. On passe quand même un agréable moment d’autant que Julianne Moore est au générique.
Deauville vaut bien une Comédie !