Avec une intensité émotionnelle inoubliable, la réalisatrice Kaouther Ben Hania raconte donc l’histoire de cette mère de quatre filles en la liant à celle de son pays, la Tunisie et pose la question : qu’est-ce qu’être une femme aujourd’hui en Tunisie ?
C’est un film très complexe parce qu’une oeuvre hybride où se mêlent réalité et reconstitution, amateurs et professionnels. Aussi s’interroge-t-on : est-ce un documentaire ? Est-ce un film de fiction ? Le spectateur comprend peu à peu que la fiction se superpose au documentaire où il serait impossible d’avoir l’histoire véridique. La réalisatrice ne réussissant pas à faire un documentaire a mis en place un dispositif compliqué mais futé en faisant appel à trois comédiennes dont l’une ( Hend Sabri) incarne le double de fiction de la mère.
Les deux plus jeunes filles jouent leur propre rôle en se mêlant à des comédiennes (Nour Karoui et Ichrak Matar) qui interprètent leurs soeurs parties. C’est donc un documentaire mélangé à de la fiction dans son expression la plus convaincante : la frontière entre fiction et documentaire est si floue que cela rend le film passionnant. Et s’il s’agit d’une forme, cette forme est loin d’être la limite.
Très proche de ces femmes, la caméra reste à leur hauteur en excluant les hommes.
La réalisatrice a fait le choix de laisser les hommes hors champ dans une absence et, à la fois, une présence pesante. Car, si on ne les voit pas, on en parle. Et ils sont craints. La distance est donnée par les comédiennes professionnelles qui rendent supportables des situations insupportables.
Un seul acteur Majd Mastoura joue tous les hommes, puisque tous les hommes sont pareils, ce qui témoigne du rôle interchangeable des hommes. Même petite, encore enfant, la femme subit les violences physiques de la part de l’homme. Aussi leur mère a-t-elle tenté d’ôter à ses filles toute trace de féminité dès leur enfance, mais elle a ouvert ainsi une brèche où la religion s’est faufilée facilement. Les femmes gardent heureusement un espace de liberté intérieure. Et la musique leur permet de s’échapper. Elles attendent l’été avec impatience, car c’est la saison des mariages où elles ont l’occasion de jouer et chanter !
Très sobre, le film sort de tous les clichés et poncifs qui auraient pu en faire une redite mièvre et non crédible, grâce particulièrement à la performance des actrices intenses et justes.
En compétition au Festival de Cannes de mai dernier, ce huis clos sororal a fait forte impression.
Caroline Boudet-Lefort