Soudain attiré par la montagne comme par un aimant, Pierre, un ingénieur parisien en déplacement professionnel en province, décide de ne pas rentrer à Paris. Il abandonne sa vie pour une approche non conquérante des paysages par-delà le grandiose. Seul, il s’enfonce de plus en plus au coeur de la neige et installe son bivouac en altitude.
Dans une sorte de grotte où il pénètre, il découvre d’étranges lueurs qui semblent jaillir d’une baguette magique, et même un genre de feu follet pour le moins intrigant, véritable invention de l’imagination malicieuse et merveilleuse du réalisateur !
Dans ce récit d’aventures s’attachant aux gestes les plus pragmatiques pour assouvir sa passion, cette attirance vers la neige et cette attraction vers le sommet, n’empêche pas l’attachement charnel. Pierre rencontre une cheffe cuisinière (Louise Bourgoin, épatante, et même formidable !) qui l’aidera à se requinquer. Cette amoureuse lui permettra de reprendre goût à une vie davantage terre-à-terre que celle de l’épreuve sur des hauteurs. Elle a elle-même fait le pas de quitter la grand-ville pour être en accord avec la nature.
Beaucoup de choses se disent par des regards dans ce voyage initiatique où poésie et fantastique se joignent pour poser la question d’une nouvelle vie.
« La Montagne » est une histoire de survie, poétisée, une sorte d’expérience intérieure méditant sur le hasard et le destin, sur le vide et l’absence de sens de l’immersion dans un monde contemporain confus. Une véritable remise en cause de l’aliénation à une vie active qui ne nous « active » pas intérieurement. Le héros s’appelle Pierre et cherche à être dur comme de la pierre, à s’endurcir par l’épreuve ultime, par un songe spéculatif s’approchant d’une expérience sans équivalent dans le cinéma contemporain : un genre de songe qui ébranle les certitudes et touche autant le corps que l’esprit.
En apparence, c’est le corps qui importe le plus dans le cinéma de Thomas Salvador. Le corps qu’il met à l’épreuve comme un instrument de base à sa vie – ou à sa survie. Le corps qui franchit tous les impossibles, tous les interdits, tous les dépassements de soi.
Non seulement réalisateur et scénariste, Thomas Salvador incarne Pierre. Il subira toutes les épreuves, comme les autres comédiens qui ont accepté de jouer leur rôle dans le froid glacial des hauteurs.
A la fois précis et halluciné, « La Montagne » respire l’aventure à grandes bouffées.
Le tournage du film semble aussi avoir été une véritable aventure humaine. Par grand froid, parfois à 3800 mètres d’altitude et donc aussi par manque d’oxygène, les comédiens et l’équipe technique ont peut-être pris ce tournage avant tout comme une expérience intérieure, une aventure de l’âme, puisque, mis à l’épreuve du froid, l’organisme, lui, s’endurcit.
La formidable créativité de Thomas Salvador est évidente. Grâce à une imagination débordante, « La Montagne » sort des sentiers battus, loin des films qui souvent ressassent les mêmes sujets. Au dernier Festival de Cannes, où il était présenté à la Quinzaine des réalisateurs, le film a été récompensé du Prix SACD. Bien mérité !
Caroline Boudet-Lefort