Médecin chef à l’hôpital d’une petite ville de Transylvanie, le héros de « Baccalauréat » est un homme intègre, ainsi que sa femme et leur fille qui a été élevée selon de solides valeurs morales et poussée à obtenir de bons résultats scolaires. Sur le point de passer son bac avant de partir dans une université en Grande-Bretagne où son père l’a inscrite d’avance, l’adolescente est victime d’une agression sexuelle la laissant traumatisée et le poignet foulé. Son père s’affole et, à la veille de l’examen fatidique, il cherche des appuis tous azimuts pour s’assurer que sa fille obtienne une note convenable malgré les circonstances. Son obsession est de voir sa fille fuir cette Roumanie où son épouse et lui ont gâché leur vie. Le voilà donc prêt à tout : demander des services et en rendre pour atteindre son but. Mais le piège du déshonneur et du mépris se referme sur lui.
Cristian Mungiu raconte la dimension sans limites qu’a prise la corruption roumaine.
Les petits arrangements entre amis ou « obligés » montrent qu’un service rendu en attend un en retour dans une véritable chaîne d’entraide et d’accommodements réciproques. Passe-droit, tricherie, pot-de-vin... tout est bon ! « Parfois, dans la vie, c’est le résultat qui compte » dit un des personnages haut placés auquel s’adresse ce père désireux de voir sa fille fuir ce pays qui n’offre aucune perspective. Justement sa fille, elle ne peut que constater que tous les principes moraux inculqués ne sont que pipeaux : son père est bien comme les autres ! Censée être rassurée pour son avenir, elle voit soudain vaciller ses références morales et découvre le désir de son père de vouloir tout maîtriser.
Le réalisateur montre avec une efficacité implacable la logique des événements qui s’enchaînent et des sentiments qui évoluent au gré de la démonstration : pas d’alternative à la corruption. Le père rentre dans le système comme tous les autres quels que soient leurs échelons sociaux. La corruption est devenue un thème familier du jeune cinéma roumain dont Cristian Mungiu est considéré comme le chef de file.
La Roumanie est le parent pauvre de l’Union Européenne. Sans subventions conséquentes, les cinéastes doivent se débrouiller avec des budgets riquiqui, aussi sont-ils devenus experts dans l’art de transcender le minimalisme.
C’est avec une grande intelligence dans la conduite du récit et une incroyable subtilité dans la mise en scène - en apparence simple - que Cristian Mungiu observe le réel à la manière d’un documentaire où la caméra collerait aux personnages.
Quelques scènes d’une morne réalité en disent long sur la persistance de tracasseries bureaucratiques plus d’un quart de siècle après la chute du communisme et de la dictature de Ceausescu. On se croirait dans des négociations de marchands de tapis !
Les comédiens sont formidables ! Chacun montre ce que son personnage ressent et à quoi il pense dans ses contradictions et compromissions. Aussi bien Adrian Titieni, vu dans de nombreux films roumains dont « La Mort de Dante Lazarescu » de Cristi Puiu que Maria Drâgus, découverte dans « Le Ruban blanc » de Michael Haneke. Une multitude de détails montre de leur part des attitudes intraduisibles en mots, des sentiments imprécis, des états d’esprit opaques.
Après la Palme d’or en 2007 pour « 4 mois, 3 semaines, 2 jours », le Prix du scénario en 2012 pour « Au-delà des collines », Cristian Mungiu a décroché, à Cannes cette année, le Prix de la mise en scène pour ce superbe film.
Puissant, fluide, ce « Baccalauréat » mérite vraiment la mention très bien !