En faisant éclater les limites, il a su apporter le lyrisme qu’exigeait cette histoire feuilletonesque.
Un lyrisme qui transcende ce drame poignant et bouleverse tout spectateur capté par cet univers riche en images qui le poursuivent longtemps.
Après cinq films, de « Bernie » à « 9 mois ferme », à la constante thématique mêlant cynisme et humour, il adapte en virtuose cette histoire d’amitié entre deux soldats qui font connaissance dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Albert Dupontel interprète lui-même l’un d’eux, homme du peuple, brave magouilleur, mais qui veut prouver sa reconnaissance au copain qui lui a sauvé la vie sur le front et qui, ce faisant, a eu lui-même la mâchoire fracassée par une bombe.
Ce soldat est interprété par Nahuel Pérez Biscayart d’une fragilité constamment touchante et récemment admirable dans « 120 battements par minute ». Ici, devenu une de ces « gueules cassées » de cette guerre particulièrement meurtrière, il est tenu de jouer avec ses yeux ou avec son corps qu’il manie avec une telle sensibilité qu’il procure une profonde émotion. Son regard est intense et ses mots, devenus râle guttural incompréhensible, ne peuvent être devinés que par une gamine qui les traduits (prodigieuse Héloïse Balster qu’on reverra sûrement bientôt sur les écrans).
Tous les autres comédiens sont également remarquables : Niels Arestrup en père écrasant, rattrapé par la souffrance de la disparition de son fils.
Laurent Lafitte en lieutenant qui envoie sans vergogne ses soldats au casse–pipe sous les balles ennemies et qu’il zigouille lui-même si ceux-ci rechignent. « Un ordre est un ordre ». Méchant de service, il s’enrichit ensuite sur le dos de la guerre en rendant, monnayant finances, des cercueils avec des dépouilles de hasard aux familles en deuil. Emilie Dequenne et Mélanie Thierry occupent fort bien de moindres rôles.
Les masques donnent la tonalité baroque – et parfois comique – au film. Ils avaient leur importance dans le roman, ils en ont tout autant à l’écran, avec une magnifique réussite de l’artiste Cécile Kretschmar qui a créé une quarantaine de merveilleux masques en papier mâché afin de dissimuler la « gueule cassée » d’Edouard qui ne veut pas se montrer défiguré à sa famille de riches aristos.
Le livre est énorme et le sujet est riche.
Avec cette production ambitieuse, Albert Dupontel prouve qu’il peut dépasser l’univers où il s’était installé et, en prenant pied dans un réalisme magique, il montre que la vie va toujours plus vite et plus lentement que le regard qui prétend la questionner.
Ce qui aurait pu être une pure débauche de style se resserre en permanence sur le récit, et nous serre ainsi le coeur, nous enserre dans un délire qui est aussi celui de ses héros autant que l’époque et les drames qu’ils subissent. Ce mélo poétique renoue avec le bon cinéma français d’antan, lorsque Prévert se collait aux dialogues et Carné à la caméra. L’époque est parfaitement reconstituée jusque dans les chansons d’alors et dans la musique de Christophe Julien écrite pour le film. Nous le disons encore, « Au revoir là-haut » va plaire à tous !
Caroline Boudet-Lefort
« Au revoir là-haut » a été présenté en avant-première fin septembre en présence d’Albert Dupontel au cinéma Casino d’Antibes.