Tout juste sorti de prison, Sombra reprend sa vie de dealer de petite envergure dans le bidonville créole de Reboleira, à Lisbonne. Entre l’argent prêté qu’il ne parvient pas à se faire rembourser et celui qu’il doit, il vit surtout la nuit se déplaçant silencieusement, avec l’agilité d’un chat, dans de sombres ruelles ou sur les toits. Tragédie et désespoir suintent de tous les murs de ce quartier où il ne voit presque personne, son ami le plus proche étant un iguane fantasque qu’il appelle son dragon.
Il a contracté des dettes auprès de gros durs tatoués et est soupçonné par d’autres de les avoir volés dès lors qu’un chef de bande se met à douter de lui, ce qui entraîne des discussions houleuses sur leurs trafics et leurs règlements de comptes. Chacun revendique le pouvoir, tandis que Sombra, qui a du mal à s’extirper de ce guêpier, reste décalé en se disant que, vraiment, il aurait peut-être mieux fait de rester à l’ombre... Selon un mécanisme impitoyable, Sombra se retrouve dans une situation inextricable, aussi partir s’impose. Il prépare son départ dans une magnifique scène d’exorcisme dans laquelle le réalisateur fait de Sombra un personnage christique, mais celui-ci réussira-t-il seulement à voir l’aube...
La plupart des acteurs sont des non professionnels qu’il est bon d’entendre parler, palabrer, s’énerver dans un vocabulaire argotique et des dialogues laissés à l’improvisation, parfois amusants, tels « J’ai jamais vu la mer. Un lac et une piscine, oui ! Pas la mer ! » dits dans une scène au cours de laquelle le héros, sur le départ, donne à un copain, comme tout héritage, une banale lampe à pétrole, sa seule possession. Auparavant, il a confié, à une petite voisine envahissante, son iguane qui s’évadera pour le retrouver au moment du « grand voyage ». Le dernier regard de Sombra sera pour le fidèle animal.
Avec son premier film présenté à la Quinzaine des Réalisateurs l’an dernier, Basil Da Cunha, citoyen suisse d’origine portugaise, s’immerge au sein d’une communauté ultra-marginale de Cap-Verdiens dans un ghetto de Lisbonne. On pense au cinéma de Pedro Costa avec lequel pourtant il n’a guère à voir. Peut-être est-ce pour la langue portugaise, encore plus chantante avec l’accent du Cap Vert nuancé de nostalgie. Avec d’infimes observations, le jeune réalisateur a su capter des élans de vérité brute dans une somme d’anecdotes et d’instantanés réalistes de phénomènes de bande. Son cinéma laisse le spectateur avec cette question : pourrait-on changer le monde et sortir de la misère où elle est condamnée cette population vivant en marge ? Qu’ils soient dans des pays riches ou pauvres, ces démunis auront leurs rêves, leur jeunesse et tout espoir, piétinés.