Sandra Hüller interprète une écrivaine à succès qui répond avec assurance aux questions d’une femme l’interviewant sur les rapports entre sa vie et son oeuvre. L’entretien est interrompu soudainement par une musique très forte et l’écrivaine précise que c’est nécessaire à son mari pour travailler : lui aussi écrit, mais sans grand succès...
Peu après l’enfant du couple trouve sur le sol le corps de son père, mort des suites d’une chute depuis la fenêtre du grenier. C’est dans un chalet isolé d’un coin perdu de montagne où l’écrivaine vit avec son mari (Samuel Theis) et son jeune fils malvoyant (Milo Machado Graner). Le père avait pris l’habitude de travailler dans ce grenier aménagé pour en faire sa tanière.
L’enquête amène d’abord à croire à un accident ou à un suicide, avant de se diriger vers un meurtre dont sa femme est accusée.
D’autant plus qu’est trouvé l’enregistrement audio d’une scène de ménage que le mari a fait la veille du décès à l’insu de sa conjointe : une multitude de rancunes de leur vie commune y surgissent au cours d’une dispute violente et cruelle.
Leurs problèmes au quotidien sont ainsi jetés sur la place publique où s’ajoute le problème des langues. Car, se parlant en anglais, aucun des deux dans ce couple ne s’exprime dans sa langue maternelle, pour elle l’allemand et pour lui le français...
Toutes les traces de pas ont été effacées par la neige. Ainsi, le témoin clé est le jeune fils aveugle du couple à qui les enquêteurs font porter une lourde responsabilité. Il ne sait vers lequel de ses parents faire pencher son témoignage. Il a compris l’enjeu...
L’excellent Swann Arlaud, ami et avocat de Sandra (même prénom que la comédienne !), semble dépassé par l’importance qu’a prise un procès dont il se laisse déborder en affrontant le combatif avocat général, Antoine Reinartz méconnaissable mais parfait dans ce rôle de méchant : il attaque autant l’oeuvre que la personnalité de Sandra pour y trouver des preuves du crime.
Tous les coups sont permis
« Anatomie d’une chute » allie le suspens d’un film de procès à la profondeur de sa réflexion sur un couple actuel, avec de brillants et subtils dialogues montrant combien la vérité est indécidable et relative. Le spectateur reste dans le doute de bout en bout du film.
Bien connue en France depuis Toni Erdmann (film de Maren Ade en 2016), Sandra Hüller est une nouvelle fois prodigieuse en entretenant une forme d’ambiguïté et s’amusant, au cours du procès, des tentatives de démêler le vrai du faux.
Après « La bataille de Solferino », « Sybil » et « Victoria » - des films centrés sur des femmes - Justine Triet s’est lancée dans une forme de film de procès avec un scénario co-écrit avec son compagnon Arthur Harari, cinéaste du fascinant « Onoda », entre autres.
« Anatomie d’une chute » est réellement un très grand film sur le couple (davantage que sur un procès) qui mérite bien la Palme d’Or qui lui a été attribuée au dernier Festival de Cannes.
Caroline Boudet-Lefort