Ce sexagénaire, bougon et irascible, raconte à son ex-femme les événements qui se sont déroulés, il y a bien longtemps et dont il ne lui avait jamais rien dévoilé tout au long de leur vie commune.
Elle est avocate et il a besoin de ses conseils professionnels face à une situation incongrue. L’histoire remonte le temps pour évoquer la rencontre de son ami et lui, puis le week-end dans la maison de campagne de la jeune Veronica qui fut son amour de jeunesse. Celle-ci s’oppose à la remise de ce journal légué par sa mère. Pourquoi ? Tony découvre des zones d’ombres où il n’a jusqu’alors jamais voulu fureter. Ce qui se sera passé alors, le film ne le dit pas totalement dans ses longs flash-back et c’est au spectateur de reconstituer le puzzle à travers quelques phrases qui surgissent ici et là.
Aux prises avec ses fantômes, ce vieil ours mal léché revient sur les quarante dernières années de sa vie, ponctuées d’échecs sentimentaux et d’amitiés fragiles. Son humour distancié et sa méchanceté cynique lui servent de carapace. Obligé de faire une brèche à son système de défenses, celui-ci se fendille et le vieil homme s’écroule, fragilisé, perméable à sa cruelle mémoire. Pris au piège d’un souvenir qu’il pensait avoir écarté de sa mémoire, il se sent seul, paumé, pathétique, en le racontant à son ex-femme (HarrietWalter). Quoi qu’ébranlé, il conserve un certain cynisme pour évoquer son amour de jeunesse qu’il n’a jamais oublié. Verrouillé, incapable de laisser surgir ses sentiments savamment occultés, on le voit sans guère d’espoir, dans son automne mélancolique, pour être à la fois responsable et victime d’un drame dont il a gardé de profondes blessures qu’il ne veut pas voir et qui enfin se révèlent.
Malgré la mélancolie d’un homme revisitant son passé, « A l’heure des souvenirs » est un film cruel.
Tony a préféré occulter la lettre abominable qu’il a envoyée au temps de sa jeunesse et qui a bouleversée la vie de plusieurs personnes. Quoi qu’il pense avoir oublié cet événement, sa mémoire le ronge à bas bruit et provoque son caractère ronchon. Après s’être enfin libéré de son lourd secret, peut-être sera-t-il capable d’un nouveau départ.
Auteur de nombreux best-sellers, Julian Barnes a laissé carte blanche à Ritesh Batra (réalisateur du sensible « The Lunchbox ») et au scénariste Nick Payne pour l’adaptation en film de son roman « La fille, qui danse ». L’écrivain a toujours pensé que la meilleure façon pour un cinéaste de rendre hommage à une histoire était de trahir le livre. Malgré son style académique, sans aucune invention, « A l’heure des souvenirs » séduit par sa dramatique imprévisible et son image d’une élégante sobriété à l’Anglaise. Mais ce qui réjouit le plus dans ce film, c’est le beau portrait d’un homme vieillissant, aux prises avec ses fantômes, que nous offre l’interprétation de Jim Broadbent, tout en accidents discrets et en dissonances légères. Il suggère un gouffre sous la surface de l’ordinaire, il émeut et dérange dans un même regard ou en un seul geste. Charlotte Rampling a un rôle beaucoup moins important, mais laisse le temps d’admirer ses yeux d’acier qui correspondent à ce film mélancolique.
« À l’heure des souvenirs » est un film sur le temps qui passe et aide à oublier, mais les souvenirs nous poursuivent insidieusement.
Caroline Boudet-Lefort