C’est donc un palmarès satisfaisant malgré la déception de ne point y voir figurer Le Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan, un film aux paysages splendides et aux personnages passionnants. Mais le film, très long (plus de 3 heures), bavard (trop ?) et présenté en dernier dans la compétition, a dû sembler une épreuve pour les membres du Jury déjà épuisés.
Réjouissons-nous cependant que la Palme d’Or soit attribuée à Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda !
Après avoir présenté plusieurs films à Cannes, ce réalisateur japonais obtient enfin la récompense suprême. Nul ne sait comme lui parler avec une touchante subtilité des enfants en désespérance de famille (Nobody Knows, Tel père, tel fils...). Ici, une famille démunie, qui vit entassée dans un espace déjà trop étroit, recueille une petite fille rejetée par ses parents, et lui donne l’amour dont elle a besoin, tandis que diverses surprises vont être révélées peu à peu. Nombreux étaient ceux qui auraient accordé la Palme au Polonais Pavel Pawlikowski pour Cold War, une histoire d’amour tragique et légère entre une jeune chanteuse et un musicien, bientôt séparés par les frontières de la Guerre Froide. Il a obtenu le Prix de la mise en scène, mais le Jury aurait pu intervertir l’attribution des récompenses entre lui et Kore-eda.
Créée pour la première fois, une Palme d’Or spéciale a été attribuée à Godard, le père du cinéma moderne, qui, avec un essai intitulé Le livre d’image, offre un magistral poème en collage d’images de films auquel s’ajoute, en dernière partie, un voyage dans le monde arabe.
Le Grand Prix est revenu à Spike Lee pour BlacKkKlansman, où le réalisateur a adapté un fait réel pour s’en prendre avec humour au Ku Klux Klan et au racisme perpétuel, le film se terminant sur un édifiant discours de Donald Trump. Il fallait bien que l’Amérique soit au Palmarès pour qu’elle cesse de bouder le Festival.
Le prix du scénario a été attribué ex-aequo à deux films, l’un de l’Italienne Alice Rohrwacher pour Heureux comme Lazzaro, une fable poétique sur un "innocent" paysan d’un hameau resté à l’écart du monde moderne et qu’il découvrira avec effarement. L’autre prix est revenu à Trois visages de l’Iranien Jafar Panahi qui, assigné à résidence dans son pays, n’a pu venir à Cannes. Il joue son propre rôle de cinéaste consulté par une de ses comédiennes sur l’authenticité d’un suicide d’une aspirante actrice.
Aussitôt reconnu comme candidat de poids pour obtenir le Prix d’interprétation masculine, Marcello Fonte l’a reçu pour son personnage de gentil toiletteur de chiens dans Dogman de Matteo Garonne, une tragédie populaire comme aime le cinéma italien. Tandis que le Prix d’interprétation féminine a récompensé Samal Yeslyamova pour son rôle d’immigrée kirghise dans Ayka (réalisé par le Russe Sergey Dvortsevoy) où la jeune femme subit tous les malheurs possibles mettant ainsi le spectateur à l’épreuve de la noirceur du monde actuel.
Le Prix du Jury a récompensé Capharnaüm de la Libanaise Nadine Labaki sur deux enfants entre errance et misère dans les rues de Beyrouth. Abordant l’actualité brûlante des migrants, des sans-papiers, de l’enfance maltraitée, ce film, très émouvant, divise les critiques, certains trouvant indécent d’exhiber de tels sujets à travers des enfants et la pitié qu’ils provoquent. Le film a également obtenu une autre récompense : le Prix de la Citoyenneté, inauguré pour la première fois cette année, sous la présidence de Laurent Cantet, et en présence des deux filles de Jean Zay, fondateur du festival de Cannes. En le créant, celui-ci avait désiré "un festival de la liberté" en opposition à la Mostra de Venise, initiée par Mussolini pour développer les idées fascistes. Jean Zay n’a jamais vu la première édition annulée par la déclaration de la Grande Guerre durant laquelle, résistant, il a été assassiné par la milice en 1944.
Sous la présidence de la réalisatrice suisse Ursula Meier, la Caméra d’Or, attribuée à un premier film toutes sélections confondues, a récompensé Girl, tant pour son réalisateur flamand Lukas Dhont (26 ans) que pour son interprète, Victor Polster, totalement étonnant sur la question des genres dans son rôle de danseuse classique. Enfin le prix Un
Certain Regard est revenu à Gräns (Border) d’Ali Abbasi, un film insolite comme on en voit peu, à la fois terrifiant et attachant.
Finalement un Palmarès sans rien à redire, mais pas électrisant et avec quelques regrets, dont l’absence de Burning de Lee Chang-Dong, heureusement primé par la FIPRESCI (la Presse internationale).
Caroline Boudet-Lefort