Le titre du film est celui d’une oeuvre conceptuelle installée dans la cour d’un musée d’art contemporain de Stockholm, « The Square » (Le Carré).
Dans cette comédie amère, le héros, Christian (Claes Bang génial !), est le jeune directeur de ce musée.
Tout à la fois puissant et faible, il tient des propos idéalistes, mais agit en cynique. Divorcé, père de deux filles, il se montre très attaché aux questions existentielles et sociales soulevées par un projet artistique exposé, « Le Carré », un espace aux valeurs altruistes fondées sur la réciprocité. Y entrer c’est choisir entre « confiance » et « méfiance ». L’intention est bonne mais n’est-il pas utopique de croire aujourd’hui en la fraternité ? Dans une société de plus en plus axée sur la méfiance et le repli sur soi, venir en aide à autrui en présence d’un tiers devient rare, cela s’appelle « l’apathie des témoins », chacun se reposant sur l’autre pour agir. La cohésion sociale pourrait-elle compenser l’indifférence collective ? Le climat de la société actuelle ne semble pas s’y prêter. Chacun doit faire face aux faiblesses inhérentes à tout humain.
Dans ce film, plusieurs scènes sont inconfortables, que ce soit celle où Christian se trouve égaré comme un SDF dans des sacs-poubelles en plastique, ou celle qui s’étire jusqu’au malaise d’un performer-gorille provoquant des mécènes en tenue de soirée lors d’un happening féroce et impitoyable, ou encore le tabassage de l’artiste par ce même gratin huppé, ou les affrontements avec un gamin vindicatif.
Et même la scène du « carré » où l’alternative pour y pénétrer semble trop naïve. « Un musée ne doit pas craindre de dépasser les bornes », décrète Christian. Lui-même, pris au piège de ses contradictions, enchaîne les actions lamentables, protégé par son statut de directeur du musée. Qu’il veuille retrouver son portefeuille volé, séduire une journaliste ou s’occuper de ses filles, son autosatisfaction entraîne un véritable jeu de massacre. Il s’avère hypocrite, sournois, incapable de faire face à diverses situations - plus ou moins cocasses - auxquelles il est confronté (au lit avec la journaliste, ou face au gamin agressif à qui les parents suppriment le foot suite à sa déplorable lettre, ou dans son rôle de père vis-à-vis de ses deux filles, ou encore en remplaçant à l’identique l’oeuvre détériorée par le passage d’un aspirateur....). Il passe allègrement de discours de mots creux à des échanges vides de sens avec un artiste prétentieux dont l’oeuvre se compose d’un alignement de petits monticules de terre.
Comme Ruben Östlund le montrait déjà dans ses films précédents, dont le plus récent « Snow Therapy »(« Force majeure »), l’homme (au sens masculin du mot) est minable et lâche.
Ce talentueux cinéaste Suédois de 43 ans truffe d’un humour brillant, percutant, son film hyper contemporain qui repère les traits nouveaux de notre époque et pose des questions sur les comportements hypocrites de notre société (la mendicité,...) Sous l’influence esthétique de Michael Haneke ou de Maren Ade, il fait, comme eux, des expériences sur ses personnages, et dirige à merveille ses comédiens – tous excellents - jusqu’au gamin qui explose de colère.
« The Square » a décroché la palme d’or cette année à Cannes.
Nombreux étaient ceux qui furent surpris, mais nous, nous la lui avions déjà volontiers accordée !
Caroline Boudet-Lefort