| Retour

120 BATTEMENTS PAR MINUTE de Robin CAMPILLO

Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d’Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l’indifférence générale.
Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean.

Robin Campillo : Lors de l’action contre le laboratoire Melton-Pharm, Sean dit au directeur : « Voilà à quoi ressemblent des malades du sida, si vous n’en avez jamais vu… ». Apparaître en chair et en os quand on est relégué à l’invisibilité, c’est pour moi l’un des sujets politiques les plus forts qui soient. C’est donc à la fois une question politique et un enjeu de cinéma.

On ne sort pas indemne d’un film pareil. C’est l’histoire édifiante d’un groupe d’activistes, celui de la génération Sida, celui qui luttait contre l’indifférence généralisée et outrancière des pouvoirs publics, sous fond de rapacité organisée des laboratoires et multinationales de la santé.

Anciens militants d’Act Up, Robin Campillo (qui n’est pas un inconnu puisque réalisateur du fulgurant Eastern Boys, en 2013) et son co-scénariste Philippe Mangeot qui s’inspirent de leurs sombres années ou les laboratoires délivraient des traitements comme l’AZT qui étaient sensés freiner l’évolution de la maladie sans jamais pourtant pouvoir arrêter la lente agonie des patients qui erraient jusqu’à leur dernier souffle.
Une génération entière de condamnés à des amours dangereuses et de toute évidence passionnées jusqu’à la mort. Le Sida touchait les gays, les trans, les prostitué(e)s, les lesbiennes, les prisonniers, les toxicomanes, Act UP Paris se voulait être l’association de tous ses opprimés, bannis d’une civilisation en perte de de repère, d’altruisme, d’amour et de générosité.
La force de cette association était bien de rendre visible ses oubliés par des actions spectaculaires et des slogans pour les moins punchys.
Ce film c’est leur histoire, il nous délivre des images semblants tout droit sortir d’archives ayant pour effet de nous faire littéralement plonger dans le reportage historique, celui qui insiste sur les manifestations et les actes qui défilent à un rythme soutenu et oppressant, telle cette parade mortuaire adoubée d’une lecture sommaire de la constitution de 1848, c’est tout simplement remarquable.

Il n’y a pas de combat sans amour, c’est surement le vécu du réalisateur et de son co-scénariste qui a poussé à la naissance de ce film, ou le rythme soutenu par l’invective, les prises de parole, les temporisations des claquements de doigts, poussent à ce que ces longues séquences militantes soient si passionnantes, car elles sont avant tout l’oeuvre d’esprits brillants et pourtant si fragiles.

Il y a aussi de la magie à voir danser ses corps sous la force des BPM, évoluant dans des délires mimiques et totalement enivrés des rythmiques de house et de transe, le tout explosant à l’écran d’ou jaillissent des particules de lumières comme les milliers de cellules qui se multiplient au son des battements de cette terrible maladie...

Le film agit comme une montée émotionnelle, principalement celle de l’idylle entre Nathan, nouveau "seroneg", grande carrure et naïf de la première heure (Arnaud Valois) et Sean (Nahuel Pérez Biscayart), défenseur de la cause depuis toujours, être loquace et désinhibé.
Petit à petit nous atteignons la dimension tragique, qui pour mieux nous tenir, est devancée des fougueuses étreintes amoureuses de ce couple, qui voguent irrésolument de murmures à la sensualité pénétrante aux abandons des corps tout entier qui se mêlent.

Slogan chocs : Des molécules pour qu’on s’encule ! à destination des laboratoires complices de cette pandémie, et des passages où l’on ne peut retenir une émotion grandissante, comme cette mère d’un militant qui vient de mourir et qui insiste sur « C’est bien que vous soyez tous là », symbole de cette génération sacrifiée au chevet des avides multinationales de la santé.
C’est bien que cette génération ait pu porter ce message et défendre le devenir de milliers d’autres.
En tout état de cause, il était indispensable qu’ils fussent là, 120 Battements par minute est aussi un acte de mémoire pour ne pas les oublier.

Artiste(s)