Divulgué le soir du dimanche 24 mai, le palmarès représente le choix d’un jury très diversifié (Rossy de Palma, Sophie Marceau, Guillermo del Toro, Sienna Miller, Rokia Traoré, Xavier Dolan et Jake Gyllenhaal, sous la présidence des frères Coen).
Tel qu’il est, « le Palmarès ne représente pas toute la profondeur de nos discussions sur chaque aspect de chacun des films » a précisé Sophie Marceau au cours de la conférence de presse. Elle justifiait ainsi le choix du jury qui semble avoir voulu mettre en avant un cinéma social ancré dans le réel. Certes, dans une sélection de grandes signatures, les films en compétition étaient souvent décevants et inférieurs à l’attente (Gus van Sant, Sorrentino, Villeneuve, Garrone et d’autres qu’on a vus mieux inspirés).
Mais, en allant regarder du côté des sections parallèles (Un Certain Regard, la Quinzaine des Réalisateurs, la Semaine de la Critique et Acid), chacun est finalement satisfait de ce 68ème millésime, bien qu’aucun chef-d’œuvre n’en marque l’année.
Tandis que j’écris cet article, entre au Panthéon Jean Zay, un fervent résistant qui fonda le Festival de Cannes, en 1939, en opposition à la Mostra de Venise alors sous le pouvoir fasciste de Mussolini.
Aussi le Festival a-t-il toujours conservé un caractère quelque peu engagé, malgré ses paillettes et son tapis rouge. Est-ce en tenant compte de cette image de la manifestation cannoise que le jury a choisi ses prix afin que le festival continue de jouer son rôle de porte-voix ?
Gagnant de la Palme d’or, Jacques Audiard s’est intéressé à des réfugiés d’un Sri Lanka en guerre pour réaliser avec une mise en scène efficace « Dheepan », un thriller social très fort et très juste sur la difficulté d’insertion en terre étrangère dans des banlieues dites sensibles, pourries par la violence et le trafic de drogue.
On reste dans le social avec « La loi du marché » de Stéphane Brizé. Vincent Lindon a obtenu le Prix d’interprétation masculine en y incarnant un chômeur en fin de droits qui n’arrive pas à retrouver un travail autre que vigile dans un supermarché où il est chargé de surveiller ses collègues. L’acteur y est entouré de comédiens non professionnels ce qui accentue l’effet de réalité que diffuse le film.
On peut constater l’indéniable vitalité du cinéma français, en ajoutant le prix d’interprétation féminine accordé à Emmanuelle Bercot qui joue avec intensité l’amoureuse d’un homme irrésistible et manipulateur (Vincent Cassel) dans « Mon roi » l’hystérique film de Maïwenn. Ce prix a été donné ex aequo à l’Américaine Rooney Mara (peut-être une nouvelle Audrey Hepburn ?) pour son rôle remarquable dans « Carol », mais pas plus que Cate Blanchett qui porte le film de Todd Haynes, situé dans l’Amérique conservatrice et moralisante des années 50. Il aurait semblé plus logique que ce prix soit partagé entre elles deux.
A ce cinéma réaliste à connotations sociales, on peut ajouter « Chronic » du jeune Mexicain Michel Franco couronné du Prix du scénario pour un drame sur un infirmier (Tim Roth, excellent) qui, suite à un deuil personnel inguérissable, apporte, jour et nuit, son soutien à des malades en fin de vie.
Le Prix du Jury est revenu à « The Lobster » du Grec Yorgos Lanthimos. Peuplée de stars internationales, cette étrange fable imagine une régulation des affects et des désirs sexuels humains dans la société moderne où les célibataires sont changés en animaux. S’agit-il d’une injonction pour une certaine normativité sociale ?
Le très estimé Grand Prix est revenu au premier long-métrage du Hongrois Laszlo Nemes, « Le fils de Saul » sur les camps d’extermination nazis. Le réalisateur réussit à montrer l’irreprésentable en s’attachant à un déporté juif chargé d’enfermer les arrivants dans les chambres à gaz. Le film montre sans complaisance l’horreur des camps et les dessous de l’holocauste. Le Chinois Hou Hsiao-Hsien a dû se contenter du Prix de la mise en scène pour « L’assassin », magnifique réalisation se déroulant dans la Chine Ancienne récompensée pour « ses qualités esthétiques », a précisé le jury. C’était bien le moindre !
En sélection officielle parallèle à la compétition, la section Un Certain Regard a primé « Béliers » de l’Islandais Grimur Hakonarson, un superbe film âpre sur la brouille entre deux frères au sujet de béliers dans un trou perdu au fin fond de l’Islande.
Pour la Caméra d’Or qui récompense un premier film de toutes les sections confondues, un autre Jury, sous la présidence de l’actrice Sabine Azéma, a couronné « La Terre et l’ombre », du Colombien César Augusto Acevedo, un film présenté dans le cadre de la Semaine de la Critique. On retrouve encore un cinéma social avec une famille obligée à un travail harcelant dans d’infinies étendues de cannes à sucre aux pieds des Andes où les ouvriers agricoles sont appauvris par des semaines de travail sans salaires. Le cinéma colombien s’est par ailleurs distingué cette année avec plusieurs excellents films. A suivre !
Déjà, nous attendons avec impatience la sélection de l’an prochain...