« L’étreinte du serpent » raconte l’histoire épique du premier contact, de la rencontre, du rapprochement et, pour finir, de l’amitié exceptionnelle entre un chaman amazonien et deux ethnobotanistes qui se sont succédé pendant près de 40 ans dans la partie nord-ouest de l’Amazonie à la recherche de savoirs ancestraux. Le récit est inspiré des journaux de ces premiers explorateurs de cette région de la Colombie, l’ethnologue allemand Theodor Koch-Grünberg (1872-1924), mort à Boa Vista (Brésil) d’une malaria foudroyante, et le biologiste américain Richard Evans.
Dernier survivant de son peuple, ce chaman, vivant isolé dans les profondeurs de la jungle, se trouve bouleversé par l’arrivée d’Evans à la recherche de la yakruna, une plante sacrée possédant la vertu d’apprendre à rêver. Au cours du voyage qu’ils entreprennent ensemble jusqu’au coeur de l’Amazonie, passé, présent et futur se confondent ; ainsi, alors qu’il était devenu « un corps creux courant après son ombre », le chaman retrouvera peu à peu ses souvenirs perdus. Il est le premier héros indien du cinéma au centre d’un film et c’est à travers ses yeux que nous découvrons l’histoire de la rencontre entre deux mondes.
Pour trouver cette plante aux propriétés extraordinaires, se déroule une ample dérive dans une jungle aux paysages luxuriants en compagnie d’un occidental malade, Theodor, et d’un jeune chaman, jusqu’à ce qu’un deuxième récit s’entrecroise où l’on retrouve le même chaman vieilli et toujours solitaire, accompagnant le botaniste Evans. Pour son personnage, le réalisateur s’est surtout inspiré de cet explorateur qui a écrit des ouvrages sur les plantes hallucinogènes avec des recherches sur leur usage traditionnel fait par les peuples amérindiens.
Soutenu par des images époustouflantes dans un magnifique noir et blanc nuancé, le film vante la cohabitation de l’homme avec la forêt sans qu’on souffre de ne pas la voir verte. On entend les sons hypnotiques et il nous semble sentir les odeurs. A une lenteur envoûtante, s’ajoute une dimension onirique et psychédélique, avec une scène de transe en couleurs pour clore le film, tandis que la folie guette les aventuriers obnubilés par leur quête.
Pour son troisième long-métrage, le cinéaste colombien Ciro Guerra et son équipe se sont à leur tour transformés en explorateurs pour approcher certaines communautés et établir une relation basée sur le respect afin de les intégrer à leur projet. L’ombre de Werner Herzog s’étend sur les lieux (Fitzcarraldo, Aguirre,...). Les rares films tournés en Amazonie (la moitié du pays) ont toujours été racontés du point de vue des conquérants avec des Indiens dépeints comme des sauvages. Cette fois, les indigènes possèdent un savoir, des coutumes et une histoire qui parle de d’amitié, de loyauté et de trahison. Dénonçant les ravages de la colonisation pour les cultures et les langues autochtones, ainsi que certaines dérives du catholicisme, le film laisse un message humaniste et écologiste.
Représentant des nationalités très diverses, l’équipe du film a changé son regard sur l’univers après une telle aventure, pour laquelle les acteurs ont dû apprendre les langues tribales. « L’étreinte du serpent » a obtenu le Prix de la CICAE à la Quinzaine des Réalisateurs, cette année, au Festival de Cannes, où la Colombie était fort bien représentée, avec également « Alias Maria » et « La terre et l’ombre » (reparti avec la Caméra d’Or).