Pour la quatrième fois en compétition à Cannes, après "Plaisirs inconnus" en 2002, "24 city" en 2008 et "Touch of Sin" prix du meilleur scénario en 2013, Jia Zhang-Ke, un des meilleurs réalisateurs chinois contemporains est, contre toute attente, reparti bredouille en 2015 avec son superbe film "Moutains May Depart" qui a pour interprète principale son épouse et muse l’actrice Tao Zhao.
Cela est d’autant plus injuste que ce film en forme de triptyque constitue un portrait saisissant de la Chine d’hier, d’aujourd’hui et de ce qu’elle pourrait être demain, désormais amplement ravagée dans les coeurs et les esprits par le matérialisme et le narcissisme qui règnent en maîtres sur l’Occident.
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Sur la musique incongrue de "Go West" des Pet shop boys, le film s’ouvre sur les années 1999 où une jeune fille, Tao, est courtisée par deux garçons, Lianzi l’éternellement pauvre et représentatif de la tradition chinoise et Zhang, jeune entrepreneur avide d’argent, qu’elle finira par épouser et de qui elle aura un fils prénommé "Dollar".
Cette première époque est filmée en plan serré et cadré 1,33 (image carrée).
La seconde époque se passe de nos jours (en 2014) et la rupture est consommée. La mère voit son fils s’éloigner, Lianzi, l’amoureux éconduit se meurt d’une maladie pulmonaire et les personnages touchent déjà du doigt la faillite d’un système dans lequel ils ont dorénavant perdu leurs repères.
La troisième époque se situe fictivement en 2025 où le fils Dollar, qui vit en Australie, ne sait plus parler chinois, n’arrive plus à communiquer avec son propre père et recherche sa mère à travers l’amour d’une professeur plus âgée que lui.
Les deux derniers épisodes sont traités en format Scope et retranscrivent magnifiquement le vide des vies des protagonistes aliénés dépourvues de sens et déconnectées de la tradition ancestrale.
Jia Zhang-Ke dénonce l’évolution de la Chine actuelle emportée à son tour par les dérèglements de la machine capitaliste, de l’internationalisation et du traquenard du culte du Veau d’or et seul l’amour, le souvenir et l’amitié peuvent selon lui, nous sauver.
Ce film poétique, engagé, visionnaire, nous instruit sur la société chinoise d’une manière politiquement incorrecte et constitue une nouvelle pierre dans la muraille subversive que bâtit, jour après jour, Jia Zhan-Ke et qui lui vaut depuis plus de dix ans maintenant, de s’exposer aux foudres de l’Orthodoxie de l’Empire du Milieu.
"Moutains May Depart" que l’on pourrait traduire par "Les montagnes peuvent disparaître" et sous entendu le monde peut aller à sa perte, ne rend pas aussi bien l’esprit du film que son titre chinois "Shan He Gu Ren" qui signifie en substance que "Les vieux amis sont comme la montagne et le fleuve" à savoir immuables.