Après une promenade matinale avec son chien dans la belle campagne anglaise, Kate rejoint son mari, Geoff, dans leur confortable maison de retraités aisés. Une surprise l’attend : il vient de recevoir une lettre lui annonçant qu’un corps vient d’être retrouvé, après cinquante ans figé dans la glace. Ce serait celui de sa fiancée d’alors, tombée dans une crevasse. On lui demande de venir l’identifier en Suisse....
Les « 45 ans » du titre ce sont les noces de vermeil que le couple est sur le point de célébrer et l’organisation d’une fête dans une salle du village voisin se prépare à l’occasion de cet anniversaire, montrant ainsi une certaine dimension sociale dans la vie de ce couple fusionnel. Leurs « 45 ans » d’amour, de fidélité, et de tendre complicité, Kate et Geoff veulent les fêter en grande pompe avec famille et amis. Elle a même déjà choisi la musique des Platters, « Smoke Gets in your Eyes », le tube des années 60.
Mais resurgit cette ombre du passé, ombre qui va peu à peu obscurcir leur routine à deux. L’idée d’un voyage de Geoff les perturbe et Kate n’en voit pas le sens après leur vie ensemble. Des doutes et des tourments se révèlent sous l’accumulation de non-dits. L’assourdissant silence qui s’était instauré au cours de leur complicité conjugale va être interrompu et le couple va peu à peu vaciller, malgré la retenue permanente de l’un et l’autre. Pas de cris ni de larmes. Mais, l’amère introspection de chacun d’eux et l’interrogation sur le sens à donner à toutes ces années de vie commune leur laissent à entrevoir la vacuité de leur existence, la difficulté de continuer à deux, l’usure de l’amour et du désir.
Le film repose sur un duo – duel qui se révèle de plus en plus vénéneux au fil d’un crescendo orchestré avec précision. On ne peut jamais connaître tous les secrets de l’autre. Tout ce que l’on tait, tout ce que l’on cache, tout ce que l’on sait de l’autre sans vouloir le dire, tout ce que l’on pense de soi sans pouvoir se l’avouer se révèle peu à peu.
Entre leurs solitudes juxtaposées commence une joute infernale et virtuose où toute vérité conjugale semble un leurre et tout amour aussi, sans doute. Elle, toute en tempête intérieure, n’arrive plus à se contrôler et lui, plus affecté qu’il ne le prétend par son amour passé et par la nouvelle qu’il apprend, ne peut écarter les souvenirs qui surgissent. Face au silence égoïste de son mari, Kate s’enfonce peu à peu dans des marécages où rien n’est jamais sûr et tout est possible. Vieillissante et assoiffée de reconnaissance, la voilà prise dans une spirale de provocation et d’autodestruction. Sa jalousie rétrospective met en doute la qualité de leur relation tout au long de ces années ensemble et prouve son manque d’assurance identitaire. Elle a beau poser sa supériorité sociale et professionnelle par rapport à lui, sa profonde fragilité remonte, tandis qu’elle se craquelle intérieurement. Lui reste tout en silences et hésitations, mais il poursuit son idée et son désir.
Ces petits arrangements avec la vie sont sans fond ni fin. Le film se termine en points de suspension... Au spectateur de faire ses suppositions sur l’avenir de ce couple !
On pourrait croire à une adaptation théâtrale, mais c’est une courte nouvelle (An Another Country) de David Constantine qui a inspiré le film. La force de ce quasi-huis clos, assez cruel, repose d’une part sur la tension du récit tout en sourdine et sous-entendus, et, d’autre part, sur l’interprétation bluffante des comédiens. Charlotte Rampling et Tom Courtenay incarnent avec densité leurs rôles masculin et féminin d’un couple qui se fissure après 45 ans de mariage. Elle, avec sa jalousie cachée qui n’avait jamais eu prétexte à exploser, lui, en mélancolique bourru plein d’incertitudes, de doutes, de paresses et autres lâchetés. Les deux acteurs font preuve d’une formidable puissance d’incarnation. Ils ont reçu un double prix d’interprétation à la dernière Berlinale. Bien mérité !