Inscrite dans la continuité de "L’Espace à Débattre", mené par l’artiste Ben Vautier depuis 2011, la galerie désormais renommée "Galerie Eva Vautier" accueillera Sandra D. Lecoq pour célébrer la transformation de cet espace dédié à l’art contemporain au travers de l’exposition "Mourrons des oiseaux".
La Galerie Eva Vautier par Eva Vautier
"Je suis née à Nice en 1965 dans un vivier artistique bouillonnant. Ben me signe à l’âge de 3 mois comme sculpture vivante. Immergée dès l’enfance dans les Pour et Contre, à la Fenêtre, rue Tonduti de l’Escarène et à Saint Pancrace rencontrant successivement les artistes de l’Ecole de Nice, Supports Surfaces, Figuration libre et le groupe Fluxus, je les ai écoutés, observés. J’assistais passionnée à leurs débats qui ont façonné mon esprit et ont fait partie de l’histoire de l’art. J’ai ensuite développé de chaleureuses relations avec les artistes de ma génération et notamment mes amis de la Station, où j’ai participé à l’organisation des expositions. Ce qui m’a permis de rencontrer de jeunes artistes d’horizons différents. J’ai travaillé en parallèle avec mon père sur son catalogue raisonné, ses nombreuses expositions, ses éditions et à sa galerie "Espace à Débattre", 2 rue Vernier.
Tout ceci rassemblé m’a amené à ouvrir ma propre galerie dans ce même lieu, offrant un espace d’exposition d’art contemporain. Ce sera donc au coeur du quartier de la Libération, chaleureux et vivant que cet espace accueillera six grandes expositions dans l’année avec de jeunes artistes émergents et certains plus confirmés, du groupe Fluxus, de la Figuration Libre… Des événements viendront ponctuer les expositions : des performances, des concerts, des soirées vidéos, de la danse, des débats, des lectures de poésie, ainsi qu’un coin lecture pour ceux qui voudront prendre le temps de découvrir des catalogues d’artistes et des vidéos.
Bien d’autres idées sont en cours de maturation avec ma volonté de rendre l’art plus accessible, en mettant en place une artothèque, et en proposant à chaque nouvelle exposition, une lithographie originale de l’artiste. Mon ambition pour la galerie : qu’elle devienne un espace de recherche, de débordement, de création, d’échange et d’écoute. Je vais mettre beaucoup d’énergie pour faire de ce lieu un endroit vivant, un passage obligé à Nice où l’art sera présent et à la portée de tous ceux qui en franchiront la porte.
- (De gauche à droite) Sandra D. Lecoq - Eva Vautier - Virginie Le Touze
- © Benoit Barbagli
Pour l’inauguration le 28 juin, j’ai le plaisir d’inviter deux artistes féminines : Sandra D. Lecoq qui peint, coud, colle avec sa force et sa révolte, et Virginie Le Touze qui imprègne de sa douceur piquante ses photographies".
"Mourrons des oiseaux" de Sandra D. Lecoq
Diplômée de la Villa Arson en 1996, Sandra D. Lecoq vit et travaille à Nice. Sa peinture s’oriente du côté de l’objet et si elle n’emploie pas les outils, les supports et les mediums traditionnels de la peinture, son travail procède bien simultanément du dessin et de la couleur. Dans le souvenir des gestes analytiques de déstructuration du tableau initié par Supports Surfaces (mouvement artistique comptant parmi les fondateurs de l’art contemporain français), elle tresse et coud des tissus multicolores qui prennent lieu et place du châssis et de la toile.
Naissent de cela des formes oblongues et sexuelles péniennes qui se répandent au sol, sur les murs parfois, comme autant de taches de peinture, pollutions diurnes de la pensée amusée. La réalisation longue et minutieuse de son travail se confronte avec la véhémence de son objet mettant en évidence ses paradoxes et tensions internes, suggérant que c’est bien l’inconscient de "l’âme de la femme sauvage" qui est à l’oeuvre (cf. Catalogue Collectif : La Réserve, Macchi Catherine : Pénélope la salope ou l’âme de la femelle sauvage, p. 18 - Galerie des Ponchettes, édition des Museìes de la Ville de Nice, 2005).
La contemporanéité de son travail démontre une recherche perpétuelle de créations novatrices, de surprises et d’émotions. Bien loin des conventions sévères de l’art classique, les œuvres contemporaines viennent ici changer notre propre regard sur le monde. Et c’est avec ses propres mots résultant de son caractère humble qu’elle vient conter son histoire : "Artiste, peintre, hétérosexuelle, mère de famille, athée et peu diplomate. Manque de drogue et de rock’n roll. Pas de passé de prolétaire pas de quoi faire de misérabilisme ni de mythe."
Tout au long de l’exposition, du 29 juin au 15 août, le public pourra également découvrir le travail d’une autre artiste : Virginie Le Touze. Coup de coeur de Sandra D. Lecoq, cette dernière lui donne carte blanche et lui réserve une partie de la Galerie Eva Vautier. Egalement diplômée de la Villa Arson, elle pratique la vidéo, la photographie, le dessin, le chant, la musique, le collage ou encore l’écriture. Les thèmes de l’art de Virginie Le Touze ont le charme de l’évidence car ce sont les choses de la vie les plus essentielles qui font tourner son inspiration...
Sandra D. Lecoq est peintre. Mais la couleur chez elle se tresse, se coud, se confectionne. Au pinceau se substitue l’aiguille, les bouts de tissus font de bons aplats, et quand la peinture est là, c’est pour se remplacer elle-même. Il y a des techniques qui sont aussi peu mineures qu’un sexe peut être faible. Les métiers de "bonne femme" ne rendent pas les femmes bonnes, et l’aiguille qui pique le doigt finit par l’endurcir. Si la misogynie du "grand art" motive l’artiste, c’est avec des armes d’ouvrière qu’elle lui fait face.
Sandra D. Lecoq n’est pas pour autant revancharde. Ce serait trop facile, trop machiste. Elle est joueuse, mais s’adonne à ces jeux qui vous émasculent avec douceur. Il n’y a sans doute que les petites filles pour habiller Ken en femme parce que c’est "joli". Chez l’artiste, les pénis aussi sont jolis, bariolés et chatoyants, tressés en tapis ou brodés sur couverture, mais le moelleux y confine à la mollesse, et la couture paraît suture.
De cette candeur sauvage, Sandra D. Lecoq a rapidement compris les rouages (la psychanalyse n’est jamais loin) et su les détourner (l’art est là). "La dynamique de celle qui cherche à en avoir est plus stimulante que celle de celui qui a peur de le perdre", dit-elle si bien. Que le phallus ait fini par côtoyer la tête de mort dans une série d’aquarelles (Le vit en rose) n’étonne pas. Eros et Thanatos, évidemment – le vouloir ou le perdre –, mais aussi tout simplement la bite et la tête, tourmentées ici par une pulsion de grossièreté, ou disons d’humanité : le doigt d’honneur est un doigt qui bande, et la vanité le meilleur argument du cynisme.
Sandra D. Lecoq, une araignée tissant sa toile ? Une Pénélope défaisant la sienne ? L’image de la femelle malicieuse était trop facile pour ne pas s’en emparer. "FEMALE WILD SOUL" placarde-t-elle à l’envie, toujours au pochoir ou cousu de fil rouge. L’effet est désarmant : la formule devient leitmotiv, ritournelle, fioriture. Les stéréotypes, si on ne veut pas les avaler, il faut savoir les tailler, les travailler, et les pulvériser.
De cette bataille douce, la mélancolie n’est jamais absente. Le travail sur papier en est le reflet le plus net, par ses titres (Bleu poussière et rose cafard, Les photos de famille) comme par ses sujets (superbe série d’autoportraits où la figure mortuaire se noie dans l’acrylique). Mais c’est encore le paradoxe entre l’application, le temps et l’ingratitude du procédé et l’ardeur formelle de l’œuvre qui en témoigne, comme une espèce d’acceptation de la tâche, un refus de s’offrir si facilement le luxe de la dénonciation.
Animée du désir de piquer sans (se) faire mal, de jouer la caricature sans y tomber, cette soucieuse enjouée entretient avec ses démons le même rapport qu’avec la peinture : détourné et caustique, mais humble et dévoué. - Augustin Besnier
Virginie Le Touze est née en 1969 à Nice, où elle vit et travaille. Vidéos, photographies, performances, et installations se côtoient dans ses œuvres sur une palette de poésie, de souvenirs, de citations, d’allusions au cinéma en noir et blanc, au cabaret, au music-hall et à la chanson d’amour. D’une manière générale, quel que soit le médium adopté, le travail de Virginie Le Touze est extrêmement minutieux et précis. Et cette méthode implique la nécessité de refaire un grand nombre de fois, jusqu’à obtenir les effets de structure au travers desquels l’artiste propose son univers d’un onirisme à la fois poignant et distancié.
Les thèmes de l’art de Virginie Le Touze ont le charme de l’évidence, traitant tous les registres, du populaire au lyrique. Ce sont les choses de la vie les plus essentielles qui font tourner son inspiration.