Steve McCurry se nourrit de couleurs, celles de ces pays
qui luttent et combattent quotidiennement sans perdre
leurs saveurs et leurs parfums, il porte loin l’anonymat de
ces femmes et de ces hommes venus d’ailleurs, il porte
leurs blessures et toute l’intensité de leurs regards parfois
douloureux mais qui jamais ne se détournent de lui.
Il collabore avec des magazines de renom comme le
National Geographic où a été publié le portrait
mondialement connu de la jeune réfugiée Afghane.
Biographie
Steve McCurry est né à Philadelphie en 1950. Après avoir
étudié le cinéma à l’université, il travaille pendant deux ans
pour un journal, puis devient free-lance et part pour l’Inde.
1979 est une année charnière, lorsqu’il passe du Pakistan à
l’Afghanistan, contrôlé par les rebelles, juste avant l’invasion
soviétique. Grâce aux photos qu’il y réalise, il remporte la
Robert Capa Gold Medal.
Autres guerres, autres reportages en Yougoslavie, au Liban,
au Cambodge, aux Philippines, au Koweït et de nouveau en
Afghanistan. Un grand nombre de ses célèbres reportages
au Tibet, en Birmanie, en Inde, en Irak et au Yémen ont été
publiés dans le National Geographic. Parmi ses différents
livres, citons Monsoon (1988) et Sanctuary : The Temples of
Angkor Wat (2002), ainsi que le dernier paru : In the Shadow
of Mountains (2007).
Depuis plus de 30 ans Steve McCurry capte les regards,
saisis les instants.
Photojournaliste, c’est en 1985 qu’il intègre l’agence
Magnum, une agence qui a changé à jamais le statut des
photographes.
Il est récompensé par la Médaille d’Or Robert Capa dans la
catégorie meilleur reportage photographique à l’étranger,
une récompense consacrant les photographes ayant fait
preuve d’un courage et d’un espr it d’initiative
exceptionnels. La National Press Photographers Association lui
décerne le titre du Photographe de Magazine de l’Année, et
il décroche simultanément quatre premiers prix au
concours World Press Photo.
ENTRETIEN
– Est-ce que le terme photojournaliste correspond à votre
démarche ?
L’étiquette ne me gêne pas mais je crois que je préfère
photographe voire même (dans un éclat de rire) voyageur...
Vous avez découvert l’Afghanistan, ce qui a, je crois, bien
contribué à lancer votre carrière.
Pour mon premier reportage, j’avais choisi un endroit qui
m’était inconnu : l’Asie. Je devais y rester deux mois. J’y ai
passé deux ans puis huit mois. A cette période, en 1979,
j’étais en Afghanistan donc avant que le conflit n’éclate.
J’étais un des rares à connaître et à avoir couvert un pays
encore relativement isolé. Lorsque la guerre a éclaté avec
l’URSS, j’avais tout un stock d’images prêt à être diffusé par
la presse mondiale. C’est à partir de là que j’ai commencé à
être connu dans le milieu et à être relativement occupé. Par
la suite, j’ai dû y retourner une quinzaine de fois
(notamment pour Time Magazine, NBC Télévision,
Newsweek, National Geographic).
Avant tout je me nourris de couleurs : sombres nuances du
henné, or martelé, curry, safran, richesse de la laque noire et
des couches de peinture qui recouvrent la pourriture.
Votre premier souvenir en dehors des Etats-Unis ?
A 19 ans, j’ai passé une année à voyager en Europe un peu
partout. J’ai travaillé comme serveur dans un restaurant à
Amsterdam, puis à Stockholm, ensuite je suis parti en
Amérique du Sud, puis en Afrique.
Je crois que j’ai toujours voulu voir le monde, explorer de
nouvelles cultures. J’ai donc tenté de trouver une profession
qui me permette de concrétiser cette envie. Parcourir le
monde est à mon avis la façon la plus enrichissante de vivre
– Après avoir photographié pendant plus de 20 ans tous ces
pays, immortalisé tous ces visages et capturé tant de
regards, est-il possible d’avoir un oeil neuf ?
Je suis toujours autant fasciné par la découverte d’un pays.
De la même manière, je reste, comme lorsque j’ai démarré
ce métier, capable d’être ému, horrifié, choqué par ce que je
vois, même si je connais les gens et les endroits.
C’est sans doute pour cela que maintenant je me sens aussi
bien à New Delhi qu’à Bombay, Hong Kong, Paris, Londres
ou New York. Je suis d’ailleurs arrivé à la conclusion que
nous sommes tous extrêmement similaires...
– Avez vous besoin d’être ému lorsque vous prenez une
photo ?
Absolument. C’est particulièrement vrai dans une situation
de portrait. De manière inconsciente, je crois que je guette
un regard, une expression, des traits ou une nostalgie
capable de résumer ou plus exactement de révéler une vie.
Un visage qui reflète les conditions, la beauté ou/et le
malheur d’un pays. Dans cette perspective, je peux rester
des heures et des heures à observer les gens. Pour moi, ça
reste toujours aussi passionnant.
– Vous considérez-vous comme un humaniste ?
Je serais assez tenté d’adopter cette appellation flatteuse
même si très honnêtement, c’est surtout la façon dont les
gens vivent avec toutes les différences en terme de culture,
de langues qui m’intéresse... Le fait par exemple qu’ils
réagissent, s’adaptent, évoluent de manière si différente dans
des situations similaires me fascinent toujours autant.
Au Tibet, par exemple voir comment les gens dorment,
s’organisent, survivent, est totalement fascinant. J’aime les
variations. J’aime aussi les endroits connectés au passé. D’où
mon engouement pour l’Inde notamment...
– Comment abordez-vous les gens dans la rue ?
Généralement, je voyage accompagné d’un traducteur et
d’un assistant. Ce qui efface déjà la barrière du langage. Cela
dit, pour se faire comprendre, bien souvent, le langage du
corps suffit. Les gens sentent en fonction du regard ou des
expressions du visage que mes intentions sont honnêtes.
– Quel est le plus beau cadeau qu’une personne puisse vous
faire outre d’accepter la photo ?
Sentir qu’il y a une connexion, un échange. Ça a souvent un
rapport avec la personnalité et l’âme. La capacité aussi de se
relaxer. Parfois, c’est le contraire qui survient. Un peu
comme un mur imaginaire entre moi et l’autre. Dans mon
livre de portraits, la plupart des images proviennent de
petits moments fugaces qui surviennent au détour d’une
rue. De brèves tranches de vie à attraper au vol. Le
contraire d’une séance de photo planifiée, arrangée.
Dans de nombreux pays notamment musulmans,
photographier une femme relève du tabou.
Certains de mes portraits notamment en Afghanistan ont
été réalisés à une époque un peu différente. Cela étant dit,
je pars souvent du principe que si j’approche une centaine
de femmes en leur demandant l’autorisation de les
photographier, il y en a toujours une ou deux qui acceptera.
Il faut donc être déterminé, volontaire et tenace, s’armer de
patience et continuer en dépit des rejets et des refus
– Avec l’avènement des nouvelles technologies, le digital,
internet, pensez-vous que les images puissent perdre un
jour de leur sens/essence
Pour moi, il n’y a aucun risque. Fondamentalement, je ne
pense pas que la photo ait d’ailleurs tellement changé. C’est
devenu très compétitif mais ça l’était déjà quand j’ai
démarré en 70. Les gens seront toujours sensibles et
intéressés par des moments figés en dehors du temps.
Je ne me sens personnellement pas en danger.
Parlons de votre dernier livre Sud Sud-Est…
C’est vraiment mon voyage personnel à travers l’Asie. Les
endroits qui ont une signification particulière à mes yeux. La
chose qui me passionne le plus, encore une fois, c’est
vraiment le décalage entre ma vie et la leur. Leur
apparence, leurs coutumes, leurs regards, leur langue, leur
conception de la beauté notamment avec les bijoux et les
vêtements.
– Dans vos portraits, il n’y a jamais de laideur...
En conclure que j’ai une vision romantique donc embellie
de l’Asie serait pourtant erroné. J’ai aussi des images dures
notamment ma série de portraits d’intouchables. Je n’ai pas
la prétention avec ce livre d’expliquer en images ce qu’est
l’Asie.
C’est un voyage personnel aux rythmes de mes rencontres.
– Propos recueillis par Marie-Sophie BOIVIN
pour www.photo.fr