Ayant croisé les grandes questions sociologiques et plastiques que les artistes de la fin des années 60 se sont posées pour le meilleur et pour le pire, Henri Baviera poursuit sa propre recherche de manière originale, et pour l’instant dans des expressions tridimensionnelles, le moment le plus notable en étant, l’été 68, un environnement pénétrable de rideaux de plastique peints, décor d’un show de Michel Polnareff pour l’ORTF : « Un jour à Saint-Paul de Vence ». Une autre installation de rideaux de plastique se fera en 1972 à la Galleria Artivisive de Rome.
Mais en 1970 il a dit adieu à la Rue Grande, part pour Lorgues (Var) en vue d’installer un atelier en pleine nature, ce qui ne l’empêche pas d’exposer à la Galerie Beniamino de San Remo, et, avec la collaboration de Marcel Alocco, en 1972 d’organiser « Le Jardin d’Explosition », exposition collective à ciel ouvert, dans l’espace vert de son atelier des Gardettes à Saint-Paul. Cinquante jeunes artistes de divers pays et de toutes disciplines réalisent leurs œuvres sur place pendant dix jours. Henri participe avec un pénétrable. L’accueil est très enthousiaste, les visiteurs affluent, dont Yves Montand, Georges Géret, César, Arman, etc. Puis c’est, à la Galerie Ratié, à Paris, une présentation de « Formes élémentaires » qui suscite beaucoup d’intérêt de la part de la Critique. Une rupture va se produire dans la vie d’Henri, un événement déplorable qui va provoquer la perte de son atelier de gravure des remparts de Saint-Paul. Il ne gravera plus pendant trois ans, et interrompra ses recherches sur les formes évolutives. En réaction, il créera avec des bénévoles le « Comité d’Animation de Saint-Paul » (1975), dont il sera le président jusqu’en 1978. Le retour à la peinture, trois ans et demi plus tard, se fera aussi en réaction, aux modes, aux courants, dans une figuration cathartique parlant de l’humain éternel, des mythes qui le constituent, d’un cosmos où l’être malmené trouve son véritable « home ». Cette période qui se poursuivra jusque vers la fin des années 1980 présente, autour de personnages, des mondes colorés dont justement les personnages disparaîtront, seuls les espaces, écrins de l’expérience humaine, demeureront, comme traces de libération, signes de métamorphose ? Abstraction dernière qui serait comme les cendres d’une alchimie ? Cendres éblouissantes, car il semble bien que ce soit la lumière elle-même qui ait été conquise.
Et l’on peut penser qu’à l’automne 1979 le voyage au Brésil soit une borne importante dans l’irruption de la nouvelle vie. C’est, à Rio, à São Paulo, un choc physique, émotionnel, culturel. Et c’est, en deux mois, la confection d’un nombre suffisant d’œuvres pour une exposition à la galerie Ouro Preto à Rio de Janeiro et une autre à Piracicaba près de São Paulo.
Puis c’est le retour à Vence, l’installation d’un nouvel atelier de gravure, et, en 1982, avec Daniel Fillod, la fondation de « L’Atelier » (Association des artistes de la région), sous la présidence d’Henri jusqu’en 1985. Deux portfolios réuniront des œuvres, textes et gravures originales d’artistes de la région, parmi lesquels Franta, Arman, Harivel, Joyard, Éppelé, Verdet, Nall… le premier préfacé par le poète Norge et le second par Frédéric de Towarnicki. Mais, fin 1986, nostalgique du Brésil, Henri décide d’y retourner dans l’hypothétique intention d’y vivre définitivement. Il quitte Saint-Paul, maison et atelier. Au Brésil il rencontre celle qui deviendra son épouse, le médecin Leila de Oliveira, pour des raisons économiques revient installer un atelier de gravure dans le Vieux-Nice, et investit son atelier de Lorgues. Cette nouvelle vie induit un changement dans la peinture. Comme je l’ai dit la figuration telle qu’on l’entend disparaît, ne figure plus qu’un espace libre et transparent, un lieu de dépassement contemplatif comme seul argument plastique. C’est le début des toiles suggérant des sortes de fenêtres, que je préfère appeler brèches, partant de l’idée que symboliquement le regard va traverser la toile, transgresser la surface peinte, en une approche plus méditative de la part du spectateur.
Henri Baviera exposera chez Morin-Miller à New-York, et à Tokyo à la première International Art Fair « Tokyo Art Expo ». C’est un succès, qui engendrera de nombreuses expositions personnelles dans ce pays, avec conférences. Sa passion de l’estampe fait qu’Henri participe à la création de « Actualité de l’Estampe » à Draguignan, et à la « Maison Méditerranéenne de l’Estampe » à Carcès. A Cuiabà, en 2001, il organise le premier atelier de gravure en taille douce, qui suscite chez les jeunes artistes et les artistes confirmés un véritable engouement pour l’estampe. Fin 2001, il est invité ai Japon à quatre mois de recherches sur le thème « Tradition et modernité » à partir de l’utilisation du papier traditionnel japonais (washi) dans son propre procédé de gravure. Un reportage est effectué par la NHK Chanel, réalisé par Rieko Shibata et diffusé le 10 janvier 2002. Le washi est plus que du papier, c’est une éthique, un esprit, un mode de vie.
A Lorgues, Henri reprend complètement le fil de son travail, en peinture, en gravure, où l’estampe vient parfois accompagner des textes, des poèmes, pour donner des livres. Mais cela a commencé en 1965 avec André Verdet : « La trace et l’écho ». Avec Bernard Noël ce sera « Une fable du monde » (2001), et « La vie en désordre » (2008), avec Françoise Armengaud : « Dont on fait des paysages » (2004). Avec Jacques Kober : « Impressions du Hoggar » (2007) et « Photo de classe de Maternelle » (2009). Avec Gilbert Casula : « Voyage à Venise » (2005). Avec Alain Freixe (2010) : « Quand est toute nouvelle la couleur ». Avec Bruno Mendonça : Numérus Clausus » (2009). Avec Claude Haza : « Lumière des traces » (2010). Avec Claude Gallot : « Accrochés aux nuages » (2011).
Henri Baviera a pu les présenter dans une très belle exposition, récente, à la Médiathèque municipale de Vence.
Soixante œuvres pour soixante années de travail
L’exposition à Saint-Paul n’est qu’un échantillon de toute la production d’Henri Baviera, soixante œuvres pour soixante années de travail, c’est à la fois succint et une incitation à explorer l’œuvre. L’énorme monographie éditée par les éditions de l’Ormaie permet cette exploration, avec la documentation poussée qu’elle offre, un grand nombre de photos, et des textes, ainsi celui d’Henri lui-même intitulé : « Peinture ? » :
« Le sujet de l’Art est aussi vaste que l’histoire de l’homme et suppose autant d’angles de vue qu’il y a d’yeux pour le voir. Avec mon travail, je vois deux manières d’en parler ; par le « comment » et le « pourquoi ». Bien que l’une contenant l’autre, je commence par la seconde, (sachant bien qu’une partie de ce « pourquoi » m’échappe), je ne parlerai que de la partie consciente de mes motivations de peintre depuis plus de soixante ans. Simplement, un questionnement sur ce que je vis, et sur ce que je vois et perçois dans ce qui m’entoure et qui me porte à distiller une réponse plastique et sensible, bien entendu subjective. Pourrions-nous parler d’un hommage aux énergies premières, au monde vivant et à son prolongement : l’extraordinaire cheminement de l’humanité. Au-delà de fouiller dans les aspects formels du monde, c’est dans la signification et le retentissement qu’a sur moi le vivant, en tant qu’humain, que je trouve une motivation profonde ». Si certains effets du progrès nous éloignent, semble-t-il, des rapports justes avec l’ensemble du monde vivant, mon engagement intime avec lui prend inversement, une nécessité accrue. (Henri Baviera, novembre 2011, extrait).
L’accomplissement
Sous le titre « L’acomplissement », j’ai moi-même répondu à l’invitation d’Henri de tenter de trouver des équivalences verbales à une recherche au plus profond de la Forme et de la Couleur. Voici quelques bribes de cette tentative :
« Ce qu’il avait à dire... on peut aujourd’hui le percevoir comme une investigation presque alchimique de ce qu’on appelle la « nature » : matière-énergie dont la lumière et l’ombre nous parviennent, grâce à lui, chargées de secrets. Et aussi comme la manière dont l’humain joue avec, s’en nourrit, la détruit, la nomme, l’inscrit... Ce qu’il avait à dire, il l’a déterré en réinventant les outils donnés par l’Histoire de l’Art jusqu’au point où c’est l’outil lui-même qui devient le sujet de l’œuvre, car tout medium en ce chapitre n’est jamais qu’un bout de planète transformé, fibres donnant la « toile », argile et pigments donnant la « peinture », pierre pour la lithographie, argile pour la céramique, et la liste est longue... Dans l’œuvre d’Henri Baviera le support matériel intervient particulièrement dans la constitution du discours comme mise en signes d’une genèse réitérée, des éléments se réorganisant sans cesse pour approfondir les noces de l’humain avec son environnement. A toutes les échelles. (France Delville).
Une relecture de la nature par l’estampe
… est le propos de Jacques Kober, fondamental pour parler d’Henri Baviera :
« … Estampes-passion porteuses d’une autre ambition qu’un inventaire ou une collection, plutôt une contagion et de se répandre comme semence du tâtonnement du monde. A partir de pas disparus dans « un jardin perdu » pouvoir initier la piété pour « des pieds tels ceux des feuilles de bananier, frais, doux, terreux » (Monique Rosenberg dans Mooréa) et les réanimer. Revivifier, comme par tampons-buvards de la Genèse notre monde perclus de terne. Certes émotion et piété pour l’ébriété, le sentiment panique, devant la richesse du vivant (lichen et filigranes botaniques, fusées d’entomologie), furent de tout temps et c’est cette vibration et sa saison de choix que vise cette phrase de Baudelaire : « C’est l’époque où, faute de dryades, on embrasse sans dégoût le tronc des chênes ».
Mais c’est bien sur une phrase d’André Verdet qu’il faut finir, extraite d’un texte de 1999. La boucle est ainsi encore bouclée :
« Dans leur espace frontal, les peintures de mon vieil ami Henri Baviera, le regard de l’horizon s’ouvre vers nous sur une floraison de songes d’outre-temps. Un outre-temps qui prend à souhait le présent dans une création de formes et de couleurs proprement autonomes, lesquelles ne cesseront d’abattre leurs atouts majeurs pour le meilleur des gages de la toile-support. Ces gages sont ceux d’un avenir pictural sans cesse en mutation… Ce qui en fait leur jeunesse ». (André Verdet, juin 1999, extrait)
L’exposition « Henri Baviera », au Musée de Saint-Paul et à l’Espace Verdet, Saint-Paul (30 juin-16 septembre) présente en permanence deux films de Philippe Rouget et un de moi-même, dont un extrait accompagne la partie IV de ce chapitre. Des manifestations à accès libre accompagneront l’exposition : le vendredi 3 août 18h à l’Espace Verdet, une « Carte blanche à Henri Baviera », lectures et poésies autour de son œuvre, le vendredi 7 septembre à 17h30 au Musée de Saint-Paul, « Rencontre avec Henri Baviera », visite commentée des deux expositions par l’artiste et discussion autour de son œuvre, et vendredi 14 septembre à partir de 18h à l’Espace Verdet : Vernissage de clôture avec projections, poésies, lectures et échanges d’idées.
Fin.