Maurice Fréchuret, commissaire et directeur des Musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes, revient pour nous sur la genèse de l’événement « Le projet de rendre compte de la production artistique azuréenne depuis le début des années 50 jusqu’à aujourd’hui est né, il y a quatre ou cinq ans lorsque un certain nombre de conservateurs ou directeurs de centre d’art se sont retrouvés dans la région à la suite de leur récente nomination. Beaucoup gardaient en mémoire, pour avoir participé à son organisation ou pour l’avoir visitée, l’exposition de 1997, La Côte d’azur et la modernité. Le projet de réaliser le second volet d’un diptyque qui couvrirait le siècle entier est alors apparue comme une évidence. Les échanges qui eurent lieu nous confirmèrent la nécessité d’inscrire le projet dans une dimension clairement historique en évitant l’écueil d’écrire ou de réécrire une histoire des mouvements artistiques qui ont pu se succéder dans la région et dont on connaît le caractère souvent artificiel. Restait donc à imaginer les modalités d’organiser une exposition qui, sans viser une exhaustivité bien improbable, se devait d’être la plus complète possible. Le choix de l’axe technique nous a paru le plus convaincant. Les différents moyens utilisés par les artistes, de la peinture à l’assemblage, de la performance à la vidéo, du son plastique à la photographie… permettent ainsi de rendre compte de la diversité des questionnements et de la pluralité des démarches des artistes. L’option choisie, nécessairement transversale, a, en outre, l’avantage de montrer les différentes facettes d’une même œuvre tout en évitant la multiplication des expositions simplement monographiques. »
Ainsi du 19 juin à la mi novembre la plupart des acteurs culturels azuréens (musées, centres d’art, écoles d’art, fondations, galeries, associations) se fédèrent pour offrir un panorama convoquant plus de 200 créateurs, du Nouveau Réalisme aux différentes tendances exprimées par les générations successives. Un second chapitre qui entend bien faire la preuve que notre région demeure depuis ses 60 dernières années un formidable creuset qui n’a cessé de produire : « Un territoire pour l’expérimentation ».
L’exposition historique
Plusieurs thématiques dégagées se sont partagées entre les cinq acteurs majeurs afin de définir l’exposition source. Les musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes (Marc Chagall à Nice, Fernand Léger à Biot, Pablo Picasso, la Guerre et la Paix à Vallauris, et avec une délocalisation à Coaraze et à l’Eco Parc de Mougins) explore « la Peinture et la sculpture autrement ». M. Fréchuret développe : « Si les trois musées nationaux des Alpes-Maritimes ont choisi de traiter la peinture, c’est parce que cette technique reste un axe de recherche prépondérant et que nombre d’artistes se pensent fondamentalement peintre même s’il leur arrive de recourir à d’autres moyens. Cette première observation faite, il convient de faire état de l’évolution même de cette pratique et des moyens que se donnent les artistes pour faire de la peinture. Beaucoup d’entre eux nous ont appris que la peinture ne se pratique pas seulement avec des pinceaux et des couleurs en tube mais qu’elle peut prendre bien d’autres aspects et naître de procédés inédits. Pablo Picasso et Georges Braque nous l’ont démontré au début du XXe siècle et leurs expérimentations ont trouvé chez de nombreux autres artistes – notamment de la Côte d’Azur – de remarquables applications. L’œuvre d’Alberto Burri, de Hans Hartung, d’Yves Klein est des exemples historiques particulièrement riches et significatifs en ce qu’ils recourent à des gestes que les artistes de générations plus récentes vont réitérer à leur façon. Que l’on songe aux procédés employés par eux et mis en avant dans l’exposition : brûler, tamponner, nouer, teindre, empreindre, tresser, coudre… autant de gestes qui relèvent des techniques artisanales que les artistes azuréens - de Claude Viallat à Noël Dolla, de Gadha Amer à Aïcha Hamu, de Max Charvolen à Jean-Baptiste Ganne – ne manquent pas de réinterpréter et de requalifier. »
Le MAMAC avec la « Couleur Avant » s’interroge lui sur la place de la couleur au cœur de l’œuvre et tire à cette fin des fils, des tenants de la modernité (Dufy, Matisse, Picasso, Chagall, Léger) vers les générations suivantes, du Monochrome de Klein aux glacis de scotch de Marc Chevalier. Le Château de Villeneuve (Vence), s’attache avec « Attention à la Figure » à démontrer comment l’évocation de la figure humaine, est devenu un terrain expérimental en confrontant les œuvres de deux artistes vençois d’adoption, Dubuffet et Malaval avec les travaux deux plasticiens photographes actuels : Philippe Ramette et Natacha Lesueur. « Montrer sa nuit en plein jour » au Musée Cocteau en partenariat avec l’association « Document d’Artistes », met en écho l’œuvre cinématographique du poète réalisateur avec celle de plasticiens vidéastes : Brice Dellsperger, Eric Duyckaerts, Virginie Le Touze et Ian Simms. Le centre national d’art contemporain de la Villa Arson à Nice dissèquera lui en trois temps : La performance, le son et l’architecture.
La Villa Arson en trois temps
Eric Mangion, Directeur du Centre d’art explique « Le temps de l’action, le temps de l’écoute et le temps du Territoire trois expositions qui sont trois paradoxes dans la mesure où elles abordent des sujets absolument intraitables parce qu’elles reposent sur des créations qui ne peuvent exister que dans la temporalité » « Le Temps de l’Action - Acte I » est la première étape d’une vaste enquête menée par la Villa Arson depuis 2007 sur la performance en Côte d’Azur depuis 1951. Cette recherche n’aboutissant qu’en 2012 l’exposition est conçue comme un work in progress « Nous avons choisi de présenter la base de données sur 4 écrans répartis aux 4 points cardinaux de La Galerie carré. Au centre un dôme accueillera un espace de travail où ceux en chargent de cette collecte continueront à travailler pendant l’exposition » L’aventure de la performance débute en 1951 avec le scandale des Lettristes au Festival de Cannes, se prolonge avec les Nouveaux Réalistes, des anthropométries de Klein, aux « colères » d’Arman, sans oublier Ben et son Théâtre d’art total, Fluxus. Les espaces successifs invitent des personnalités singulières comme Serge III, Pierre Pinoncelli jusqu’aux performers plus récemment impliqués en region (Éric Duyckaerts, Arnaud Labelle-Rojoux, ou Jean-Luc Verna etc.). Avec « Le Temps de l’Écoute » place aux pratiques sonores et musicales autour d’installations de plasticiens (Pascal Broccolichi, Jean Dupuy, Vincent Epplay, Arnaud Maguet etc.) mais aussi de musiciens reconnus dont les Rolling Stones qui vécurent le temps d’un album en 1971 à Villefranche-sur-Mer. Pour « Le Temps du Territoire » l’artiste Emmanuel Régent réinterprètera l’architecture azuréenne via une installation murale à grande échelle, qui constitue une cartographie inédite du territoire.
Les Musées Nationaux « Hors les murs » (Encadré)
Les Musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes en plus de leurs espaces dédiés ont choisis de participer à deux délocalisations sous l’impulsion de son commissaire et directeur : « La première expérience « hors les murs » que nous avons initié est une sorte d’hommage à un autre « hors les murs » que le Ville de Coaraze a organisé il y a plus de quarante ans. En effet, en 1969, ce petit village de l’arrière pays niçois a permis à quatre artistes – Patrick Saytour, Louis Cane, Bernard Pagès et Claude Viallat – tous de la région ou y travaillant, d’investir, avec des œuvres souvent faites pour l’occasion, les ruelles, les passages, les places et autres escaliers de l’espace public. Abandonnant ainsi les lieux généralement dévolus à l’exposition, les artistes opéraient de manière inédite et contribuaient à renouveler les modes d’approche des œuvres d’art. Nous avons choisi de réitérer l’opération en demandant à quatre jeunes artistes – Pierre Descamps, Frédérique Nalbandian, Emilie Perrotto et Xavier Theunis de créer des œuvres en fonction des spécificités des espaces choisis. La seconde proposition émane de la Ville de Mougins qui, désireuse de s’inscrire dans la manifestation nous a sollicités pour imaginer une exposition dans un grand espace, acquis récemment par elle. C’est sur plus de 3000 m2 que l’exposition La Sculpture autrement prend place aujourd’hui, permettant aux visiteurs d’appréhender, dans des très bonnes conditions de visibilité, les œuvres d’une quarantaine d’artistes de la Côte d’Azur. »
36 projets expérimentaux
Un second volet, s’articulant autour de 36 projets, fédérera autant de lieux comme autant de satellites gravitant autour d’un axe. Une nécessité pour Eric Mangion : « Une fois posés les grands axes historiques, ils nous parut vital d’ouvrir deux autres cercles. Un premier avec le réseau BOTOX, puis un troisième avec des Centres d’Art comme La Malmaison, le Château de Carros, le Musée de la Parfumerie et des associations comme No-made (Roure, Cap d’ail). Ce qui est important c’est que l’évènement témoigne également que la création azuréenne est toujours vivace, qu’elle se renouvelle, qu’il y a toujours une réelle diversité dans ce paysage » Ainsi voici quelques pistes à suivre au cœur de cette manifestation d’envergure :
Des expositions collectives emblématiques. La galerie Catherine Issert sur le front de l’art depuis 35 ans déploie son fond en six expositions. Plusieurs générations, courants, et pratiques (peintures, sculptures, installations, art sonore) autour de : Ben, Pages, Viallat, Dietman, Denis Castellas, Anne Pesce, BP, Aicha Hamu Pascal Pinaud etc. Le Théâtre de la Photographie et de l’Image présente un portrait de la région, réalisé par sept photographes sur un thème partagé avec le Musée André Villers à Mougins : « photographe marcheur ». Le Musée Magnelli invite la filiation de ces grands céramistes qui jetèrent les bases de la céramique contemporaine. Le CIAC Carros revient sur le regard de l’artiste et collectionneur André Verdet (1913-2004) autour de sa donation et des photos de F. Altmann. Une plongée dans la grande et la petite l’histoire de la création azuréenne. L’Espace de l’Art Concret présente lui, la création à travers l’acte de collectionner en écho à la genèse de ce lieu né d’une collectionneuse, Sybil Albers et d’un artiste collectionneur, Gottfried Honegger. Le Musée International de la Parfumerie inaugure son parcours d’art contemporain avec les artistes Berdaguer & Péjus, Gérard Collin-Thiébaut, Peter Downsbrough, Brigitte Nahon, Jean-Michel Othoniel et Dominique Thévenin.
Des monographies. Espace à Vendre, la Galerie qui a récemment déménagé et partage ses murs avec Ben, dévoile sa relève en trois temps : Stéphane Steiner, Emmanuel Régent, Thierry Lagalla. Dans une villa du début de siècle, la vision d’un photographe plasticien fasciné par le l’infini, les trous noirs et les poupées, c’est Frédéric Nakache à la Villa Caméline.
Des lieux uniques. Profitez en pour visiter deux fondations rares : Celle, au Muy de l’artiste et collectionneur Bernard Venet, qui sera le prochain artiste invité à Versailles et celle de Hans Hartung à Antibes sur le domaine de ses anciens ateliers. Trois lieux atypiques à découvrir en même temps que leurs propositions : Le site des Abattoirs à Nice où l’association « La Station » rend hommage à une grande galerie de la capitale « Air de Paris » créée par des niçois. L’Hôtel Windsor réputé pour ses chambres d’artistes qui offre une carte Blanche à Ben et enfin le parcours land Art à L ‘arboretum du Roure signé par le collectif No-made.
Des projets atypiques. Le Lavoir à Mougins où une centaine de poissons rouges improvise un ballet concert sur une installation de Céleste Boursier-Mougenot. La Galerie Ambulante, véhicule aménagé en espace d’exposition qui va à la rencontre de tous les des publics. Une pluie de tracts créés par une cinquantaine d’artistes et diffusés sur le parcours de l’événement, sur une initiative de la Galerie, Maison singulière. A voir : La Cinémathèque de Nice en juin et octobre, invite une vingtaine d’artistes à faire leur programmation.