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CHAPITRE 57 (Part I) : Roger Gilbert-Lecomte

Dans sa chronique de la semaine, France Delville nous dresse le portrait de Roger Gilbert-Lecomte.

Roger Gilbert-Lecomte, phrérange irrémédiable

Le film que Georges Sammut et Daniel Cassini ont réalisé sur Roger Gilbert-Lecomte en 2008 appartient à la longue suite de leurs poèmes en images dédiés à des personnages qui, loin d’être des performers au sens contemporain, ont vécu leur difficulté d’être en prenant des risques majeurs, mais en livrant à l’humanité, et à la culture, des témoignages grandioses.
J’ai déjà, dans cette chronique, donné à voir les cinq court-métrages appartenant à l’Installation-Exposition intitulée « Beau comme un symptôme » (au CIAC en 2004), et aussi un clip sur la lecture des « Lettres de guerre » de Jacques Vaché initiée par Daniel Cassini, et accompagnée d’un « exercice autour des Lettres de guerre de Jacques Vaché » sous-titré « l’être de guère » (14 décembre 1995 à la Galerie Alexandre de la Salle, Saint-Paul, pour l’E.N.C.A.S, Ecole Niçoise pour la circulation de l’Art et des Savoirs).

Capture d’image du film "Roger Gilbert-Lecomte, phrérange irrémédiable" de Georges Sammut et Daniel Cassini


Georges Sammut et Daniel Cassini se sont associés il y a fort longtemps pour créer un genre cinématographique bien à eux, l’un étant le cinéaste (en super 8) et ensuite le vidéaste, l’autre le scénariste, et leurs films ont été montrés dans divers lieux dont le Séminaire de l’AEFL (aujourd’hui ALIAM).
J’évoque aujourd’hui la projection du film « Roger Gilbert-Lecomte, phrérange irrémédiable », qui, le 22 janvier 2009, à la Fac de Psycho de Nice, s’est accompagnée d’une courte contribution de Daniel Cassini rattachant le film en question à une promenade psychanalytique. Et cette évocation m’incite à faire le tour d’horizon des manifestations où Daniel Cassini et Georges Sammut ont montré le résultat de leurs recherches plastiques et poétiques, car il est évident qu’un certain fil les relie, cela s’appelle un style, et cela s’appelle une démarche précise, passionnante, rare.

Capture d’image du film "Roger Gilbert-Lecomte, phrérange irrémédiable" de Georges Sammut et Daniel Cassini


Et le fil aujourd’hui sera celui qui relie les travaux présentés à l’AEFL (Association d’Etudes freudo-lacaniennes), qui, dès sa création, a sondé le lien qu’il peut y avoir entre psychanalyse et art, non pour psychanalyser l’art et les artistes, mais pour mettre en lumière l’aspect créatif et de la théorie et de la pratiques psychanalytiques. Le Colloque sur une « Ethique de la Performance » organisé par l’ALIAM qui vient de s’achever au CUM a vu décliner les diverses acceptions du terme de performance dans des champs aussi divers que l’économie, la politique, l’entreprise, le sport, l’école etc., et l’art… en cette période où la Villa Arson a fait de l’histoire de la performance dans les Alpes-Maritimes le thème de son exposition…
Mais qu’en est-il de la performance pour le Sujet, pour le parlêtre en butte au langage et à l’inconscient ?
Mon projet de parler du film de Georges Sammut et Daniel Cassini « Roger Gilbert-Lecomte, phrérange irrémédiable » vient à point pour répondre à cette question qui, entre poésie et symptôme (… l’addiction… et… la question de l’idéal, moi idéal, idéal du moi…), effleure la réponse qu’ont donnée tout au long de l’Histoire des personnages kamikaze-métaphysiques, et que la psychologie, alors, n’a plus qu’à saluer et admirer, car la question de guérir ne se pose plus. Va-ton guérir Artaud, Joyce, Van Gogh, Bataille etc., les guérir de quoi ? Par contre, quel enseignement ! Car leurs solutions, à ces géants, s’appellent les œuvres majeures qui sont les jalons de l’Histoire de l’Art, s’appellent des « Mouvements », Surréalisme, Situationnisme, etc. , ici : Le Grand Jeu, à la fois relié au Surréalisme et en révolte contre lui, plus radical que lui, dont la beauté aura été de désirer un retour à l’enfance, au « simplisme » de l’enfance, aux révélations de l’enfance. Projet « raté » ? La question n’est pas là, puisqu’il s’agissait d’arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort, mais ces beautés n’appartiendront pas à la mort. On n’est pas dans l’efficacité, on n’est pas dans la performance, on n’est pas dans la « normopathie ».

Capture d’image du film "Roger Gilbert-Lecomte, phrérange irrémédiable" de Georges Sammut et Daniel Cassini

Ces beautés n’appartiendront pas à la mort

Mais laissons Georges et Daniel parler de leur film : « Roger Gilbert-Lecomte, phrérange irrémédiable », fait en 2008, qui dure 24mn30, est constitué de « Fragments de textes, poèmes et correspondances » de Roger Gilbert-Lecomte, de peintures de Josef SIMA, membre lui aussi du Grand Jeu. Ils écrivent :
L’œuvre essentielle et le destin tragique de Roger Gilbert-Lecomte se placent sous le signe de l’aphorisme d’Isidore Ducasse (Lautréamont) : « Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort ; mais ces beautés n’appartiendront pas à la mort ».
De sa flamboyante adolescence rémoise aux côtés de Roger Vaillant et René Daumal, en passant par la fondation du « Grand Jeu », rival et complice radical de la Révolution Surréaliste, l’aventure terrestre de Roger Gilbert-Lecomte, consumée par toutes les drogues, témoigne d’un absolu de la parole poétique, d’une fascination affirmée pour un mythique état prénatal.
Poète pour les poètes, sa parole rare ayant gravi « le sommet central de l’intérieur de tout » a suscité une communauté inavouable de quelques lecteurs bouleversés.
Ce film construit à partir des propres mots de Gilbert-Lecomte est une approche sans artifice de celui qui, une courte vie durant, se voua à une passion « inhumaine ».

Capture d’image du film "Roger Gilbert-Lecomte, phrérange irrémédiable" de Georges Sammut et Daniel Cassini


« Voici mon rêve ultime : Nier tout et ne plus concevoir que l’abîme ».
Et, présentant le film à la Fac de Psycho de Nice au sein du séminaire de l’AEFL le jeudi 22 janvier 2009, et donc dans des termes visant à éclairer du « symptôme », Daniel Cassini dira : Avec Roger Gilbert-Lecomte l’occasion nous est donnée d’interroger la jouissance liée aux addictions. La drogue a-t-elle permis au poète du Grand Jeu de goûter (comme l’a fait l’alcool pour Guy Debord et tel qu’il l’exprime dans son Panégyrique) « une paix magnifique et terrible, le vrai goût du passage du temps ». Egalement est surtout présent à l’horizon de Roger Gilbert-Lecomte le fantasme d’une vie hors du temps, hors le temps, Gilbert-Lecomte ayant recherché avec une détermination sans faille ce qu’il appelait « l’état prénatal » ou « anténatal ». Au contraire, la psychanalyse n’est-elle pas ce qui fait advenir des signifiants jusque-là hors-temps dans le temps. Refoulement, inconscient, interprétation… (Daniel Cassini)
Dans le Dictionnaire général du Surréalisme et de ses environs (PUF, A. Biro, R. Passeron), Alain et Odette Virmaux écrivent que Roger Gilbert Lecomte, né en 1907 à Reims, mort en 1943 à Paris, est la figure de proue (avec Daumal) du « Grand jeu », dont il reste la plus intransigeante incarnation. Au temps du « Simplisme » rémois, Gilbert-Lecomte était le princi-pal garant du pacte d’absolu qui scellait le petit groupe, et le plus assu¬ré de la trajectoire : « Vois tu même dans ta pensée ce qui dans Sim¬pliste est supérieur, plus beau, plus chose que surréalisme ... » (lettre du 3. 1. 1926). Son activité est moins suivie que celle de Daumal, mais il prononce des conférences sur le « Grand jeu », écrit des textes pour la revue ou les expositions qu’organise le groupe, rencontre Breton, rédige un plan d’action commune avec les surréalistes, plan qu’il déchirera avec rage au sortir de la séance du 11 mars 1929 (dite « procès » du « Grand jeu »). Aussi, lors des tractations ultérieures en vue d’un rapprochement des deux groupes, dénonce t il le « machia¬vélisme surréaliste » (lettre à Renéville).
Après 1930, il ne prend plus conscience que par sursauts des pro¬grès de la désunion à l’intérieur du « Grand jeu » : « De plus en plus je vois que nous sommes seuls ; ils ne nous comprennent même pas as¬sez pour devenir simplement nos fanatiques. Au fond, il n’y a que Bre¬ton pour eux » (lettre à Daumal du 17. 2. 1931). Lorsqu’éclate en 1932 la crise née de l’affaire Aragon, Gilbert-Lecomte apprend avec colère la démis¬sion de Renéville et prend sur lui de convoquer une réunion géné¬rale (30 nov. 1932), qui condamne Renéville mais sanctionne en même temps la fin du « Grand jeu ». Le groupe se disloque, Gilbert-Lecomte reste seul à Paris, d’où il annoncera en 1933 son entrée à l’A.E.A.R. (Association des écrivains et artistes révolutionnaires) « avec Breton et ses amis ». Il ne lui reste plus à vivre que quelques années d’une existence dé¬chirée, « foutue ». Il parvient encore à écrire malgré l’emprise crois-sante de la drogue sur sa vie, et son recueil « La vie l’amour la mort le vide et le vent » est salué en 1934 de vifs éloges par Artaud. Breton lui avait rendu hommage en 1963 : « Sa poésie m’a toujours paru comme des plus haut situées ». (d’après l’article d’Alain et Odette Virmaux)

Capture d’image du film "Roger Gilbert-Lecomte, phrérange irrémédiable" de Georges Sammut et Daniel Cassini

(A suivre)

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