Cette peau que l’artiste guadeloupéen a noire ; celle de ses toiles en a la matité et le velouté, mais on aimerait y passer la main et prendre le risque d’emporter avec soi une partie de toutes les couleurs de l’arc en ciel.
Le grand format qui préside dans la vitrine annonce cette intelligence plastique, cet étourdissant « colorisme » qu’on retrouve à l’intérieur de la galerie Qvadrige, dans un ensemble de peintures-sculptures. Rico Roberto a également contribué à enrichir la collection « Feuille de Céramique », ces livres d’artistes que d’autres avant lui ont illustré. Les œuvres de Rico Roberto illustrent les poèmes de Raphaël Monticelli.
Ce qu’on admire en grand se retrouve en formats plus petits, mais non moins intéressants, entre les pages de ces livres dont chacune des illustrations originales est un trésor patiemment composé pendant des mois…… On y retrouve les mêmes assemblages, ordonnés, campés, apaisés aussi, de matériaux de récupération, bois, tissus, cordes, cartons, renseignant sur une spiritualité qui est chez lui le fruit de la rencontre de trois cultures : les Caraïbes, l’Europe et le Sénégal.
L’éclatante noblesse des peuples opprimés repose sur sa relecture revivifiée des arts premiers.
Une œuvre s’explique par l’homme qui se cache derrière elle. Si on ne connaît pas l’artiste, ou si celui-ci ne donne pas les clés, une grande partie du sens des tableaux échappe. Derrière chaque être se trament les ramifications d’une généalogie sur le fond d’histoire. Rico Roberto, Robert Juste de son vrai nom, est arrivé de Paris un jour avant les émeutes de mai 1967 en Guadeloupe, qui ont donné lieu à un massacre aujourd’hui oublié, du moins en métropole. Lui témoin, lui musicien, lui poète subversif et plasticien commémore cette année les 50 ans de cette page tragique de la vraie histoire de son peuple. Dans la galerie, il a scandé ses vers, en interpellant le public dans la plus pure tradition caribéenne, utilisant les percussions et la flûte.
On peut encore voir les œuvres de Rico Roberto jusqu’au 14 octobre, dans ce lieu où passent les bibliophiles, les poètes, les plasticiens qu’est la galerie Qvadrige, à la fois galerie, maison d’édition, atelier d’imprimeur au plomb…
Annick Chevalier