Entre poésie et peinture, Patrick Rosiu
En 1981, c’est encore sous le signe de l’alliance entre poésie et peinture que Patrick Rosiu expose à Nantes, à l’Espace Graslin, sous le titre justement de « Entre poésie et peinture », avec la revue Action Poétique, fondée en 1950, et prenant la suite d’un journal militant, ronéotypé que des poètes avaient fondé suite à une grève des dockers de Marseille, poètes qui refusaient d’être extérieurs à la société mais voulaient s’y engager avec leur propre langage. Action Poétique a publié son dernier numéro en avril 2012.
Dans « Ent’revues » 2012, Paul Louis Rossi contribuera à un hommage à la revue « Action Poétique ». En 1981, Patrick Rosiu expose au Salon des Indépendants, à Paris, et en 1983, il devient professeur d’arts plastiques. En 1987, il expose à la Chapelle de la Salpêtrière, à Paris. Est-ce son souci de la psychanalyse qui le rapprochait de ce lieu ? En 1990, c’est une exposition à Paris, Salon Paul Ricard (et, rappelons-le, le N°2 de « L’illustre du soir ». 1991 : Salon d’art Contemporain de Levallois, 1994 : Meaux, Chapelle Marquelet de la Noue Dammarie-les-Lys, encore le Salon D’art Contemporain, et, à Nice, la Galerie Chifflet.
Patrick Rosiu à Vence
C’est en 1994 qu’il s’installe à Vence afin de poursuivre son travail de peintre, et en 1998 déjà il expose à la Chapelle des Pénitents Blancs. En 2000, c’est à la fois le Salon d’Art Contemporain de Château-Arnaud et la galerie Atmosphère à Vence. En 2001, le Salon d’Art Contemporain de Vanves et la Chapelle des Pénitents Blancs. En 2005, Galerie Municipale de Nice, en 2010 : « Une traversée complice » au Château/Espace Muséal de Tourrettes-sur-Loup, avec la photographe Hélène Grange. 2011, Transart-Café d’Antibes, et 2012 La Coupole de La Gaude.
Pendant toutes ces années Patrick Rosiu travaille autour de « art et psychanalyse ». Cette double implication, écrit-il, mesure ce qui se traverse dans la « techné » à savoir l’acte pensé dans son geste, son regard et la parole. Cette implication lui permet de devenir psychanalyste et de poursuivre un travail dans ce que le savoir de l’artiste croise celui de la psychanalyse. « L’énigme étant de son côté » précise Jacques Lacan dans « Lituraterre ». L’œuvre de Patrick Rosiu, écrit-il encore, s’articule autour d’une pensée dans laquelle le hasard et sa dimension du rêve comme celle du désir, la fonde dans une origine de la rencontre. Rencontre entre des gestes qui installent l’acte pictural dans un ubris, lequel engendre la forme même, et l’acte de voir qui devient le lieu de la peinture. Ce lieu investi apparaît alors comme le moment de tous les possibles.
Peinture et corps
Patrick Rosiu n’a jamais cessé de tenir un journal de bord, où, le 30 janvier 1992, nous pouvons lire :
Penser la présence du corps dans la peinture. Quel corps ici vient se montrer et de quel trait, quelle figure, quelle matière se « réclame-t-il », de quelle présence est-il le « représenté » ? De la peinture il ne reste que quelques traces, touches de couleur, ombre-lumière, foule, ciel, espace habité reviennent là, sont là présents sous le pinceau du peintre, dans l’entrelacs de la couleur et de la touche, que reste-t-il alors de la présence de la peinture, corps incertain, tache de lumière, blanc-brun où le distinct se donne dans l’imperceptible de la matière même qui revient baigner l’œil de son désir de voir ?
Et sur la même page, juste cette phrase : Se débarrasser du dessin, d’un tracé qui vient contenir la couleur, juste pour la retenir dans la surface.
Comme s’il fallait se débarrasser de tout, à chaque fois, pour que l’essentiel, réduit, puisse insister. Il est intéressant de supposer que la couleur d’aujourd’hui, à la Chapelle des pénitents, couleur presque aveuglante, soit l’inévitable retour « atomique » de la matière, ses photons irréductibles, mais après le passage obligé par le noir. Question de miroir noir, et du lavage de l’œil ? Ou tout au moins pour pouvoir saisir le poids des choses, leur répartition, leur intensité propre, leur mesure. Une sorte de travail préparatoire. En tous cas c’est avec une gravure originale de Patrick Rosiu en noir et blanc que paraît en 1988, de Philippe Mikriammos « Ballade du voyageur retournant vers sa maison inconnue », et, en 2001, avec une peinture de Patrick Rosiu en noir et blanc, le Carnet de Veilhes, IV, de Gaston Puel, dont le poème choisi pour la quatrième de couverture est éminemment plastique : « L’ombre ne cessant de s’étendre sur le pré jusqu’à ne laisser qu’une frange de clarté au ras bord de la rive, la pente boisée à contre-jour se dressant comme un grand buisson ténébreux, en aplomb de la rivière, une fillette s’éloignait, le ruban rouge de son chapeau de paille flottant sur sa nuque ».
Le noir/blanc de Patrick Rosiu lui n’a pas de rouge, seul un contraste des extrême, comme simple trace et encore… d’un geste qui érafle le papier, une rapidité d’éclair, comme à n’y plus croire, à la surface, à ne la considérer que comme un terrain d’envol, ou le pur désir d’un Ailleurs.
Patrick Rosiu à Carcès
A voir ce goût du noir, et sa compréhension, chez Patrick Rosiu, rien d’étonnant à ce que je l’aie retrouvé à Carcès, à la Maison des Arts, écrivant sur Alberte Garibbo, et son propre noir, irréductible, cette fois, et dans le catalogue de l’exposition « Clairs et Obscurs » (Geneviève Asse, Jean Degottex, Alberte Garibbo, Pierre Soulages), dans la Collection « Thesaurus coloris ». Parlant si bien d’Alberte, Patrick parle aussi très bien de lui-même, certainement. Voici son texte :
Le noir est aussi ombre. Cette ombre est le tableau compris dans les différents noirs. Ce n’est pas le tableau qui fait la peinture dans un tel dispositif, mais l’inverse, la peinture, le tableau. Partir du noir avant toute chose, imposer les fonds, défaire l’espace préalablement conçu par le rectangle du châssis en de petites unités noires pour démultiplier ou étendre la surface. Ce sont des sortes de tuiles ; ces petits éléments de la construction qui recouvrent pour former le volume. Elles règlent la peinture, en mesure à la fois la profondeur et l’étendue. Ces tuiles jouent le rôle du nombre qui ordonne l’ensemble et concentre son énergie.
La peinture d’Alberte Garibbo témoigne d’une grande rigueur, déclinant très minutieusement le noir en teinte profonde et intense, en noir ocre ou bien légère¬ment gris, non pas mélangé avec du blanc, mais obtenu par friction avec le support et la lumière, ce dispositif établissant une logique des passages de continu et du discontinu dans la peinture.
Passer c’est l’acte de franchir, d’aller d’un bord à l’autre, de l’autre côté de la rive (peut être de la vie à la mort ?), ce qui est une limite spatio temporelle. Passer les noirs en les superposant et juxtaposant, s’affranchir de l’espace par le temps comme affranchit le noir de son ombre, touche au désir profond qui hante le peintre.
Le noir, tel qu’il apparaît ici, affleure à la surface ou y plonge, par mouvements imperceptibles. Mais il ne rend pas uniquement compte d’une sensibilité aux transitions esthétiques ; il convient d’en retenir aussi l’intelligence des éléments et des combinaisons.
Expérimenter consiste à faire varier la définition des unités et des réglages. C’est pourquoi la pensée s’impose avant le regard, sinon on manque le dessein qui a sous tendu les combinaisons de noirs.
Les plages sombres sont des complexes harmoniques combinant des unités chromatiques du noir et des unités métriques qui divisent l’espace temps de chaque pièce où les plages sont disposées. Cette disposition sur l’axe du temps engendre une mélodie dont le rythme dépend de la succession possible ou aléatoire des noirs, la mesure étant définie par les figures des plages, rectangles ou carrés. Cette déclinaison formelle fabrique une géométrie qui règle la profondeur, et à partir d’elle invente une sorte de jeu optique qui comprime ou amplifie l’espace.
Dans certaines peintures, cette disposition impose une espèce d’espace tri¬dimensionnel, qui suggère une perspective. Celle ci n’est pas là pour rappeler la perspective de la Renaissance qui a fondé l’espace du tableau, mais à partir d’un continuum du noir qui court séparément d’un noir à un autre (fabriquant une sorte de tresse), change en mouvement cette perspective de l’espace en celle du temps. Ce mouvement résulte autant de la place de l’observateur que de celle de la disposition des noirs. C’est à partir de là que nous envisageons le rythme compris dans le dispositif continu discontinu du noir. Les tableaux d’Alberte Garibbo sont savamment construits et leur géométrie est celle du noir qui mesure l’infinie.
Si maintenant nous regardons l’intensité de la peinture, c’est du côté de la manière noire que nous nous tournons. Cette pratique de la gravure qui consiste à tramer une plaque à l’aide d’un berceau afin d’obtenir des creux et des pleins extrême¬ment serrés, restitue des noirs d’une grande profondeur au velouté intense. La manière noire est un travail de la profondeur liée à la lenteur du geste, car seul un travail minutieux et précis fait dégorger le noir de la plaque une fois enduite, et c’est à partir de cette pratique si proche du travail d’Alberte Garribo que nous pouvons découvrir la sensation que nous procure une telle œuvre.
La manière noire c’est une sensation du noir à l’état pur. Manière noire signifie alors « à la manière du noir » projeté à l’aide d’un aérographe qui, couche après couche et à partir d’un jeu de cache, mais qu’est ce qui est caché ? l’ombre ou la lumière ? révèle la transparence de la matière. Mat ou brillant, lisse ou granulé, tout cela provient de la racine même de la terre, de ses veines, comme pour mettre à jour, à ciel ouvert, l’éclat de la peinture.
Ces variations multiples et infinies deviennent lieu où toute les intensités peuvent se manifester. Elles poussent à un inexorable et opiniâtre recommencement qui n’épuise jamais le champ de ses figures : Serait ce dès lors un travail sur l’impossible qu’Alberte Garibbo pratique, cet impossible qui est à la fois tentation et défi ? (Patrick Rosiu, 2004).
Dans la marge, il est indiqué : Patrick Rosiu enseigne les arts plastiques. Chargé de mission à la Maison des Arts de Tourrettes sur Loup. Artiste plasticien, exposant depuis 1977 en France et à l’étranger. Vit et travaille à Vence. A publié notamment : Textes et présentations pour de nombreux Centres d’Art Et/ou artistes, depuis 1998. Suit toute une biographie, évoquée plus haut.
(A suivre)