Détours de paroles
Grâce au QUARTEL, ou à cause de lui, c’est désormais l’art qui interpelle la psychanalyse et le symptôme, avec pour seule règle fondamentale l’ouverture du regard qu’autorise ce libre parcours.
De stations d’ombres en scansions d’images, de tours de silence en détours de paroles, le spectateur-acteur, comme dessaisi par de brusques anamorphoses, est ainsi appelé à retrouver les signifiants de son désir.
Se déployant dans l’espace, le dispositif dessine un bord d’écrans ordonné autour d’un vide central qui appelle le corps visiteur à en faire le tour, dans un sens ou dans l’autre. Ce n’est qu’en longeant les bords que se traverse le miroir. Faire ainsi un pas au-delà, passer de l’autre côté, là où l’art et la psychanalyse, par effet de torsion, se retrouvent en continuité.
Si l’on est en droit d’attendre d’une cure analytique qu’elle fasse disparaître le symptôme, ou tout au moins apprenne à l’analysant à faire/avec celui-ci, le symptôme considéré sur son versant esthétique est bien au contraire ce qu’il convient de faire apparaître et de soigner sans que jamais, fort heureusement, aucune guérison ne soit recherchée, ou alors de surcroît, et sous forme de plaisir esthétique et de questionnement infini.
En faisant, à travers cette exposition, basculer la psychanalyse dans le domaine artistique, le QUARTEL s’est autorisé de lui-même et de lui seul. Il lui reste maintenant, après le Centre International d’Art Contemporain de Carros, à s’autoriser de quelques autres (institutions, musées, fondations...) pour assurer enfin au symptôme en tant qu’être de vérité, la place et la considération qui doivent lui revenir dans l’Histoire de l’art et du vidéo art en particulier.
Précisons, en tout bien tout honneur, que le QUARTEL n’hésite pas à s’inclure lui-même dans ce qu’il a eu l’audace de mettre en scène.
« Beau comme un symptôme », le QUARTEL l’affirme souverainement, est le sinthome des artistes qui le composent et les fait tenir ensemble.
Ainsi, et parce que nous n’avons pas cédé sur notre désir quand tout raisonnablement nous incitait à le faire, nous nous permettons, avec ce projet, d’envoyer un cartel à la face de l’art. Gageons que celui-ci qui, depuis Dada, en a vu bien d’autres, saura relever et apprécier cet exaltant défi.
A l’issue de cette présentation rapide des Variations d’Interprétations, et à l’intention des esprits chagrins qui douteraient encore de la possibilité qu’une œuvre d’art puisse être belle comme un symptôme – ce que tout le monde devrait savoir depuis Georg Groddeck – le Quartel ne peut que souscrire à l’exhortation finale des Chants de Maldoror : « Allez-y voir vous-même, si vous ne voulez pas me croire. »
Beau comme un symptôme : Où ?
Ce projet d’Installations nécessite pour sa mise en place quelques conditions particulières.
L’exposition doit se dérouler dans un vaste espace, sur un ou plusieurs niveaux, permettant de dégager des modules de superficie variable.
Certains lieux sont ouverts, d’autres séparés par des portes, des cloisons, des rideaux ou tentures.
D’une façon générale, la lumière est très tamisée sinon absente dans certaines des pièces d’exposition.
Bien entendu, ces installations peuvent être adaptées et se déployer différemment selon les lieux proposés.
Ainsi, chaque exposition sera unique comme le sera chaque parcours dans l’espace/temps de la déambulation du spectateur : d’une durée variable, scandée par des vidéos de quelques minutes passant en boucle, et suivant une logique du fantasme empruntant à la fonction logique.
Dans tous les cas, le QUARTEL saura investir poétiquement l’espace et créer les conditions propices à la découverte de surprenants inscapes dont l’inconscient du visiteur sera le site.
Beau comme un symptôme. Exit.
Au moment de quitter l’Exposition, quel écho donnerez-vous à ces deux textes rapprochés ?
« Depuis toujours, quand je ferme les yeux ou les donne à la nuit, je me revois suivant une de ces routes éternelles. J’ai tenté jadis de les peupler de présences. En vain. Tout y redevenait peu à peu buée, ombre ou grappe d’étoiles et je me retrouvais seul avec mon pas sans écho.
L’innocent ! Aujourd’hui je sais où elles mènent. Nulle fuite n’est possible : la même Présence, celle-là plus réelle chaque jour, veille à toutes les issues ».
(Gustave Roud)
« Je viens je ne sais d’où,
Je suis je ne sais qui,
Je meurs je ne sais où,
Je m’étonne d’être aussi joyeux ».
Martinus Von Biberach
Assomption de l’être-pour-la-mort
traversée du fantasme
gay savoir-y-faire
nouvel-amour
nouvelle raison…
Et si vous repartiez pour un second tour ?
La poésie doit être faite par tous les symptômes et non par un seul
L’envers du cinéma
Dans le catalogue de l’exposition « Beau comme un symptôme » au CIAC en 2007, j’avais écrit une introduction, dont quelques passages se trouvent déjà dans le chapitre 44, mais dont voici d’autres extraits. Titre « Beau comme un symptôme ou l’envers du cinéma » :
Le rapport de la psychanalyse à l’art passa du questionnement de Sigmund Freud à l’engagement d’un Jacques Lacan traversé de Surréalisme, osant au sein même de la théorie psychanalytique, et grâce à Saussure, un « Discours sur le peu de réalité ». C’est au-delà de l’impossibilité d’une induction que Lacan viendra redéfinir la pulsion comme « écho dans le corps qu’il y a du dire ». C’est à cet écho dans son propre corps qu’est invité le visiteur, à ses risques et périls, mené malgré tout par des signifiants qui font borne dans l’histoire de la psychanalyse, et cela d’une manière ludique. C’est dans ce même corps, de langage, corps érogène, dans les risques pris, que Bataille, Lacan, Luca, et d’autres, ont manifesté que la Parole est phosphorescence dangereuse, qui pourtant laisse derrière elle sa Lettre, telle une queue de comète. La Psychanalyse, cette case vide qui fait jouer tous les autres champs du savoir, est ici le guide absent/présent d’un parcours en échos... Si les nœuds rendent fous, comme Lacan et ses amis mathématiciens le proposèrent, la Parole en tant que licence poétique déroule son chant, de Maldoror. C’est là que Lacan fut poète, car il sut douter, et ne doute pas qui veut, il y faut une belle vigilance pour tenir écartés les bords du Manque, qui pulsent, s’ouvrent, tentent de se refermer, en permanence. Mais cette abysse, il faut d’abord lui ouvrir l’oreille, car elle résonne, avant de raisonner...
Douter : Dada puis les Surréalistes en firent leur cheval de bataille, douter de tout, y compris de la psychanalyse. Luca s’attaqua métaphysiquement à l’Œdipe lorsqu’au sein de la revue Unu, avec d’autres, il voudra substituer aux automatismes des traditions « l’exaspération créatrice ». Par la réhabilitation du rêve, la subversion du langage. En 1945, dans le Vampire passif, il expose son principe OOO (objets objectivement offerts), porteurs de phénomènes mystérieux qui peuvent modeler les données du hasard objectif, comme l’explique Virgil Ierunca. C’est le projet beau et ténébreux de l’objectanalyse (interprétation de quelques objets dans un état de léger somnambulisme provoqué par eux). Les Moartea moart ? sont cinq tentatives de suicide non œdipiennes, et les Cubomanies sont un type de collage non œdipien, où des désirs nouveaux sont introduits, nés de la déconstruction de l’image et du langage, à une quête de l’amour grâce à une a-dialectique de l’Autre et du Même. Ce qui fera dire à Deleuze que « le plus grand poète français, mais justement il est d’origine roumaine, c’est Ghérasim Luca, car il a inventé ce bégaiement qui n’est pas celui d’une parole, mais celui du langage lui-même. » Lacan n’est pas loin de cela lorsqu’il annonce, à propos d’Aimée, que « La clinique se rebrousse en création, considérant que c’est le délire qui vient offrir à la science des outils de structure et de logique. Logique révolutionnaire car enfin acceptée comme « conjugaison de son espace poétique avec une scansion du gouffre ».
(A suivre)