C’est désormais la Chine qui domine le marché de l’art. La France enregistre un affaissement en 2010, au contraire de toutes les autres places mondiales. Le Conseil des ventes, qui publie son rapport annuel, espère un ressaisissement grâce à une nouvelle loi bientôt votée au Parlement.
Qu’il est loin le temps où la Chine dominait le monde grâce au seul textile de qualité médiocre et aux produits électroniques de pacotille. Désormais, c’est sur le marché de l’art que l’empire du milieu affiche sa puissance. Selon une étude publiée le 23 juin par le Conseil des ventes volontaires (CVV), l’instance française de régulation du secteur, la Chine occupe désormais la première place, avec 34% des ventes mondiales, loin devant les Etats-Unis (27%), le Royaume-Uni (15%) et la France (6%). Le chiffre d’affaires global, évalué à 22 milliards d’euros, a progressé de 66% depuis l’an dernier. Le document, que le CVV publie dans son rapport annuel, relève cruellement la dégringolade de l’Hexagone, qui passe entre 2009 et 2010 de 11 à 6% du marché, tout en enregistrant une légère baisse en volume, là où tous les autres grands marchés progressent fortement. L’étude, réalisée par le cabinet de conseil informatique Noeo, a coûté 80 000 euros au CVV.
Le marché chinois se nourrit des fortunes immenses issues de l’industrie ou des services qui cherchent à se procurer des objets de valeur au cours de « ventes de prestige » organisées plusieurs jours d’affilée à Pékin, Shanghai, Hong Kong ou Hangzhou. Les maisons de vente du pays, qui occupent dix des vingt premières places mondiales alors que certaines d’entre elles affichent moins de dix ans d’existence, connaissent des croissances hors-normes pouvant atteindre 300 ou 400%. Toutes les catégories de biens échangés sont concernées. Philippe Chalmin, économiste et membre du Conseil des ventes, se plaît à raconter que « la valeur de certains vins de Bordeaux dépend de la traduction du nom du château en chinois ».
Rachat d’œuvres pillées
Mais l’essor de l’actuelle deuxième puissance mondiale sur le marché de l’art repose aussi sur une certaine forme de revanche de l’histoire. « On voit des Chinois acheter dans le monde entier des objets pillés ou vendus à très bas prix au 19ème siècle », remarque Philippe Chalmin. Ces pièces sont ensuite revendues dans les principales salles de vente du pays. L’épisode des « statuettes chinoises » cédées par Pierre Bergé en 2009 a marqué les esprits. L’homme d’affaires, à l’origine de d’adjudication de la collection amassée avec son compagnon Yves Saint-Laurent, avait cédé deux têtes de bronze à un amateur chinois qui avait refusé de les payer, expliquant que les œuvres revenaient à la Chine. En fait de « statuettes », ces pièces provenaient en effet du saccage, par les troupes françaises et britanniques, du palais d’été de Pékin, en 1860. Les têtes des douze animaux représentant l’horoscope chinois, parmi lesquelles le rat et le lapin, vendues 150 ans plus tard par Pierre Bergé, avaient été découpées sur l’ornement d’une fontaine-horloge très célèbre en Chine.
Les salles de ventes américaines prospèrent quant à elles grâce au « marché new-yorkais destiné à meubler les traders dépensant leurs bonus, mais aussi grâce à l’Amérique profonde », explique Philippe Chalmin. A titre d’exemple, le site Internet de Heritage Auctions, importante maison de ventes située à Dallas (Texas), enchante les collectionneurs de pièces de monnaie datant de la Guerre de sécession, d’instruments de musique des années 1960 ou de casquettes de baseball portées par des joueurs célèbres.
Marché français atone
L’Europe fait figure de marché beaucoup plus classique, avec les grandes maisons mondialisées que sont devenues les Britanniques Christie’s et Sotheby’s, les ventes de joaillerie et d’horlogerie en Suisse et l’hôtel Drouot que le monde entier prend pour une société de vente unique alors que des dizaines de maisons différentes s’y font concurrence. Le marché français, en forte régression si on l’examine à l’échelle mondiale, ressemble vu de Paris à une mer calme. Le chiffre d’affaires y stagne peu ou prou depuis des années, les principaux acteurs, Christie’s, Sotheby’s, Artcurial ou Tajan, ne changent pas et la distribution du marché demeure territorialement marquée, entre l’art qui fait la fortune de Paris, les chevaux qui s’échangent à Deauville et les voitures que l’on achète d’occasion à Toulouse ou dans la banlieue de Rennes ou Lille.
Selon le CVV, le recul enregistré en 2010 par rapport en 2009 s’explique par la fameuse « vente du siècle » de Pierre Bergé. L’opération, en février 2009, avait généré un chiffre d’affaires de 373 millions d’euros au bénéficie de Christie’s, préférée par le vendeur à sa propre maison de vente. 2010 constituerait-elle un retour à la morne normalité ? « Le pic de 2009 n’était pas artificiel », conteste Francine Mariani-Ducray, présidente du CVV. Au contraire, cet événement aurait « démontré qu’il peut y avoir des ventes majeures à Paris et qu’on peut y recevoir des enchérisseurs de toutes origines ». On compterait d’ailleurs en France « des opérateurs de haut niveau, notamment dans le secteur des arts premiers ou de la photographie », poursuit la responsable. Selon elle, il ne faut pas voir de lien entre l’essor spectaculaire du marché chinois et la stagnation du marché français.
Nouvelle clarification du marché
Le Conseil préfère se concentrer sur une nouvelle évolution législative, la première depuis la loi de 2000 qui avait mis fin au monopole des commissaires-priseurs. Transposant une directive de 2006, une proposition de loi présentée en 2008 et toujours en cours d’examen au Parlement constitue « une étape de la clarification », précise Francine Mariani-Ducray. Le texte, qui pourrait entrer en vigueur à l’automne, donne une définition de la vente aux enchères publique, existence d’un mandat et adjudication, et précise que l’on peut vendre des biens neufs. Le Parlement spécifie, en outre, que les ventes réalisées par les notaires et les huissiers constituent un caractère accessoire de leur activité. L’un des principaux objectifs de la réforme reste cependant « la suppression du contrôle préalable de l’accès à l’activité », indique le CVV dans son rapport annuel. Les futures maisons de vente pourront se contenter d’une simple déclaration. Cela devrait contribuer au renouvellement des acteurs français, et peut-être à leur ressaisissement.
Des sanctions rares
L’une des missions du CVV consiste à sanctionner les manquements des maisons de vente comme des commissaires-priseurs. Cette fonction demeure toutefois peu connue, et notamment des particuliers. En 2010, seules 300 réclamations ont été enregistrées, dont un tiers seulement proviennent d’acheteurs soulevant la conformité ou l’authenticité d’un objet. Les sanctions sont encore plus rares, trois à l’encontre de sociétés de vente et trois visant des commissaires-priseurs en 2010. Les grandes affaires échappent au CVV. La découverte de vols commis par des manutentionnaires de Drouot avec la complicité supposée de commissaires-priseurs, en 2009, n’a pas fait l’objet de plainte devant le Conseil. « Nous avons rappelé les dispositions existantes et vivement encouragé la prise en compte de nos préconisations », se contente de déclarer Francine Mariani-Ducray. La présidente du CVV justifie ainsi cette indifférence : « c’est à la justice de trancher. Nous sommes une autorité de régulation qui n’a pas, dans une économie libérale, la vocation d’empêcher l’économie de se faire ».