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Chapitre 65 (Part IV) : Les « Horizons multiples » d’Armand Scholtès au CIAC

Carnets de promenade

Si peinture, archéologie et poésie se mêlent, s’emmêlent, dans l’œuvre, et autour de l’œuvre d’Armand Scholtès, pour donner ces formes libres comme le sont les calligraphies japonaises issues d’une ouverture au monde qui s’appelle « vacuité » et accueille la vastitude, il était inévitable que des « carnets de promenade » viennent se concrétiser dans une alliance de dessins et de textes de Jean-Pierre Caloz. Tel celui-ci, avec pour exergue la phrase d’Oscar Wilde « Je peux résister à tout sauf à la tentation ».

Peinture murale 187-97, Nice, Catalogue Armand Scholtès 1997

Tentation, peut-être, de laisser aller le crayon, à chaque, « coupe » (histologique), suivant chaque strate dans l’épaisseur des apparitions ? Tout fait sens, tout s’y prête ? Oui le crayon se laisse bien mener par ce qui s’impose des profils du réel…Et Jean-Pierre Caloz, en février 2012, suit bien le dessin (le dessein), à moins que parfois le crayon d’Armand Scholtès ne suive aussi les mots de Jean-Pierre Caloz, mais c’est qu’apparemment ils se ont promenés ensemble, et qu’à l’invitation des deux le monde a répondu, à moins, évidemment que ce ne soit le contraire. Jean-Pierre Caloz, qui a été ordonné prêtre à Rome en 1964, qui est membre de la Congrégation des Oblats de Marie-Immaculée, et qui entretient avec Armand Scholtès une relation amicale depuis près de quarante ans et « accompagne depuis lors les créations de l’artiste de ses réflexions et écrits poétiques ».
Dans ce Carnet de Promenade, comme dans d’autres, tous deux sont dans une belle « errance » méditative, une promenade complice où peut se glisser le lecteur, porté par la fragilité du trait, cette hésitation propice qui, au fond, revient à cette phrase de Hegel : « A la rapidité avec laquelle se satisfait l’esprit, se mesure l’étendue de sa perte ». Ici, dessin et texte avancent sur la pointe des pieds, n’osant dire trop tôt, se réservant toutes les parenthèses de l’être. Ces timides ontologies – au sens de l’épokè – créent une douce musique suspendue… Et c’est ainsi que Jean-Pierre Caloz trouve à le dire, sous le titre de « Traits » :

« Ligne et brouillard », Dessins d’Armand Scholtès/Poèmes de Jean-Pierre Caloz (2012)

L’instituteur décréta : « les traits de ces dessins sont hésitants ».
Il parla ainsi parce qu’il était instituteur et qu’il avait appris
à tracer des traits droits, avec la règle, règle, règle, règle, règle...
Croyez vous que le trait, le premier trait européen,
que Romulus traça à la charrue un vrai trait celui là ait été aussi droit ? moins hésitant ?
Et pourtant il enserra dans son périmètre, les sept collines,
pour le meilleur et le pire de l’Europe et du monde d’alors !

Point de règle pour les traits de ces dessins.
Ils oscillent légèrement comme une poitrine qui respire.
Ils cherchent leur voie, se fraient un chemin sur le
blanc du papier,
ils croisent des voisins, ils se coupent la route, ils
conquièrent des espaces,
ils engendrent des formes, et des volumes, au gré des
énergies de chacun.

Savent ils où ils vont ? ont ils une feuille de route ? un
plan préconçu ?
ces traits ?

Ils baignent dans une réserve d’émotion, de trouvailles
Qui vous viennent contre, au cours des promenades…
Armand Scholtès, comme l’abeille, a cueilli ce nectar et
En a fait son miel.

Armand Scholtès « Sans Titre » 1978, acrylique (Catalogue « Horizons multiples »)

« Carnets de promenade »… nés au détour des
Chemins ? Oui mais encore…
Chacun de ces dessins EST une promenade, une
exploration calme de l’âme,
Fragments d’un pays intérieur, cadastres imaginaires.
Il faut les marcher, ces dessins, en sentir les lignes sous
ses pieds, parcourir les surfaces engendrées, s’asseoir aux
carrefours en attendant l’Autre qui vient.

« Chemins qui ne mènent nulle part » disait un philosophe,
Ces chemins mènent quelque part, ils mènent à moi, à
Toi…
Ils sont le non-dit de nos discours, l’irrationnel de nos
planifications,
En eux le réel se rebelle contre l’hégémonie de l’utile.
Ils sont le rire gratuit qui agace le sérieux crispé de nos
Hyper rationalisations.
(Jean-Pierre Caloz, Février 2012)

Armand Scholtès « Grande Rosace » (1980) Huile et enduits sur tissu (Catalogue « Horizons multiples »)

Ligne et brouillard

Un autre livre en commun s’intitule « Ligne et brouillard », autres dessins d’Armand Scholtès et récit de Jean-Pierre Caloz, d’un enfant, lui, qui se retrouve perdu dans le brouillard, et le salut va venir de la ligne, qui délimite l’espace, supprime l’informe. La ligne chasse le brouillard, l’angoissant indifférencié. « Armand Scholtès inventeur de lignes/ordonnateur de l’espace, fabriquant de surfaces/qui se répondent et qui s’aiment/L’œil se plaît à voir cette sobriété symphonique/qui continue à s’engendrer sous son regard/Jean-Pierre Caloz, avril 2012)
Intéressant de confronter cela au projet de scénario d’Yves Klein (1954) intitulé : « La Guerre » (de la ligne et de la couleur) ou (vers une proposition monochrome), avec ses deux personnages abstraits, la ligne et la couleur, son idée étant de parcourir l’histoire de l’art depuis Lascaux sous l’angle de cette opposition, traitée par Delacroix dans son Journal.
Scholtès et Caloz donnent une variation personnelle d’une autre sorte de problème plastique, interprété à travers une métaphore, et qui pourrait donner lieu à d’autres développements, car la ligne d’Armand Scholtès, qu’on pourrait dire « embrumée », présente peut-être l’intérêt de tanguer sur une incertaine frontière. Et d’ailleurs tout son travail peut apparaître comme un passage permanent de la figuration à l’abstrait, mais une figuration de l’impossible, figuration de l’apparition à jamais vacillante du monde.

Armand Scholtès « Roches » (1983) Acrylique et enduits sur tissu (Catalogue « Horizons multiples »)

Quand l’être se donne à voir

Et le titre (« Quand l’être se donne à voir ») du texte de Charlie Galibert, philosophe, anthropologue et écrivain, dans le catalogue de l’exposition « Horizons multiples » d’Armand Scholtès, est, à ce titre, très évocateur. Et sa démonstration extrêmement intéressante, surtout engagée au diapason de Michel Leiris et Patrick Chamoiseau, hommes de l’Ailleurs s’il en est.
« Se distraire une plume à la main, moraliser, philosopher, scienticailler, pour moi c’est tout un et c’est la même déficience (…) Malheur à qui n’exprime pas l’inexprimable, ne comprend pas l’incompréhensible ». (Michel Leiris, L’Afrique fantôme, Gallimard, 1934, p. 273)
Et :
« La justesse du dire se tient dans ce qu’il dit de l’indicible, dans ce qu’il en désigne et dont il porte le signe ». (Patrick Chamoiseau, L’empreinte à Crusoë, Gallimard, 2012, p. 218)

Il n’est d’évidence, écrit Charlie Galibert, que dans l’éblouissement de la banalité : renonce aux images faciles, toi qui entres ici, à la bêtise rétinienne dépréciée par Duchamp ! Armand Scholtès est un peintre de l’en dessous, de l’avant, de l’origine. Un mineur de la profondeur perceptive.

Armand Scholtès « Sans titre » (2000) (Catalogue « Horizons multiples »)

Voyage dans la Grande Nature

Armand Scholtès est un explorateur de la nature entendue comme inscription de l’espace et du temps, forme a priori de la sensibilité, d’une mémoire longue, à peine conservée dans l’enfance, l’émotion, les saisons, les odeurs... Nature entendue comme ce qui a en soi son principe de développement, Phusis d’Hippocrate, principe interne de devenir de la totalité, chez Aristote.

Il y a chez Armand Scholtès, à chaque fois, cette aventure qui permet, au détour d’un sentier, au cœur d’une forêt, en montagne (…) de « presser le ciel et la terre sur son cœur », de « se marier à ce bout de tout » (K.P. Moritz) cette sensation de la beauté de la Grande Nature qui nous prend dans notre être même, nous emporte.

(A suivre)

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