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CHAPITRE 65 (PART I) : Les Horizons multiples d’Armand Scholtès au CIAC

Horizons multiples

De l’exposition d’Armand Scholtès au CIAC (Centre International d’Art Contemporain de Carros, 22 juin-8 septembre 2013), son directeur Frédérik Brandi dit qu’elle a été faite pour le Château. Et c’est vrai que ces grands kakemono occidentaux que sont les toiles libres, immenses, accrochées aux hauts murs de la citadelle, sous les auspices de frises d’époques quasiment dans le ton des œuvres, témoignent d’un lien privilégié, non seulement au lieu précis qu’est le CIAC, mais à une sorte de mémoire esthétique universelle de la part de l’artiste. La couverture elle-même du catalogue édité par Luciano Melis est de cette couleur rare entre terre et feu, proche de cette latérite chargée en hydroxyde de fer, et qui résume un rapport très primordial aux éléments, et la naissance d’Armand Scholtès en Moselle, partie de la Lorraine, évoque un petit quelque chose de sidérurgique, un Age de Fer à retrouver, une préhistoire de la couleur et de la forme comme à Lascaux, comme à la Grotte Chauvet, avec le rituel d’une présence humaine à inscrire, pour « faire signe », interpeller aussi bien dans l’espace que dans le temps.

Vernissage de l’exposition « Horizons multiples » au CIAC

Résidus issus du fond des temps

Frédérik Brandi dans sa préface cite ces « résidus issus du fond des temps, toujours actuels et porteurs d’avenir », cela résonne infiniment juste avec ce qui est donné à voir, cette archéologie composée comme il se doit aussi bien de traces consistantes que de leur effacement. Effacement – pâlissement - qui marque à lui seul le Temps, avant même la notion humaine cette fois, culturelle quoique scientifique, de carbone 14. Particulièrement les dessins de promenade ont tout des carnets de croquis du fouilleur de sols et de parois, choses soi-disant rapides, infiniment précieuses, signifiant : « j’étais là au moment de la découverte ».
Et ces « instantanés » sont bien plus savoureux que des photographies, car l’objectif est ainsi remplacé par le subjectif, le sujet/témoin de passage qui trace son émotion, incise, accumule, au sens propre, « ce qui le remue ». Et le spectateur est aussi remué, passant dans cette exposition, par les matières archaïques exposées au regard et au toucher mental, composant une sorte d’érotisme de forêt vierge quand on songe que c’est la femme qui inventa le tissage. Un érotisme qui lui parle de son origine – éros au sens propre c’est-à-dire l’envers de thanatos - et de ses première visions, premiers paysages envisagés, et qui justement deviennent de vrais visages du monde.

Vernissage de l’exposition « Horizons multiples » au CIAC

Il n’est donc pas surprenant, quoiqu’un vrai cadeau pour un champ de fouilles patrimonial imaginaire, qu’Armand Scholtès ait eu envie d’habiller son habitat de fresques déclinant formes et pigments lessivés par le Temps comme « intempérie première », mais, contrairement aux fresques de Maison de Livie et d’autres, celles-là ne furent pas décollées et sauvées par le muséal. Ce côté potlatch alors, dans le sens de dépense pure, n’est pas sans intérêt, à la réflexion. Car l’objet perdu traverse l’œuvre - création récréative, ou re-création – d’Armand Scholtès, objet perdu/trouvé, où ce qui est retrouvé n’est pas le temps tel quel mais sa trace nostalgique, sa dé-formation. Habiller sa « demeure ».
Cela – ce compost initiatique - demeure en effet dans ces couloirs traversés par l’espace infini de la planète et du cosmos, couleurs et formes comme macrocosmes réduits à l’espace artistique – couleurs et formes, et silence, de Marienbad – microcosmes élargis poétiquement comme pour parler de la liberté.
Liberté, libération – peindre les murs de la prison ? – sont les sensations qui s’imposent, en tant qu’aspiration… car ce travail, cette exposition respirent, et du même coup invitent au Souffle … même si toute évasion de la gangue n’est jamais que projet, projection, sur la ligne de fuite, mais il se trouve que cette exposition du CIAC, aussi, parle d’horizons, ne parle que de cela. Et même si le hors cadre de la toile libérée inévitablement recadre la vision. Car c’est la seule dialectique possible, et ce n’est pas par hasard si le mental humain a produit la fameuse « fenêtre de la Renaissance », cette fenêtre étant biologiquement le cadre de la vision. Et même à Lascaux, même face à l’informe pariétal, l’œil, la vision recadrent ce qui est rencontré de l’image. Ainsi va le parlêtre. D’avoir à parler fait que le parlêtre structure avant même d’avoir ouvert la bouche… Et l’on sait que les ouvertures du Château de Carros, ses fenêtres, ne sont guère innocentes dans le parcours des regardeurs.

Vernissage de l’exposition « Horizons multiples » au CIAC

Et il a été récemment saisissant que les œuvres de Carmelo Arden Quin et du Mouvement MADI hantant les murs du Château, dialoguent avec les fenêtres dudit château, les mettant en demeure de n’être plus que béances sur la somptueuse nature (dieu ou la nature ? interrogea le spinoziste Arden Quin), qui s’enfuit aux quatre horizons du CIAC.
A cette sortie du cadre le mouvement Support-Surface s’essaya également, plus proche géographiquement d’Armand Scholtès, mais Raphaël Monticelli note que celui-ci a élaboré une manière très personnelle de faire oublier le cadre, hors tout mouvement historique, les transcendant tous.
Et sa spécificité ne serait-elle pas – et particulièrement dans ces kakemonos à un seul bord - de faire surgir à l’intérieur d’un espace bordé un autre espace qui déborde ? Après tout, faire s’écarter les murs est du pouvoir de la méditation, œuvre au noir sans cesse à atteindre, mais qui fait goûter aux saveurs de l’infini. Et cette annulation des frontières accomplie par des chemins de traverse a été judicieusement évoquée par les deux préfaciers, Claude Renaudo, adjointe à la culture de la ville de Carros, et Frédérik Brandi, directeur du CIAC.

Vernissage de l’exposition « Horizons multiples » au CIAC

Chemins de traverse

À Carros, écrit Claude Renaudo, revisiter l’histoire de l’art signifie emprunter des chemins de traverse, dans le but de donner à voir la création actuelle au plus grand nombre et sous un jour nouveau.
Armand Scholtès, justement, est un artiste qui sait parfaitement s’éloigner des sentiers battus, en arpenteur inlassable de la nature environnante de notre belle région. En ce sens, la rencontre heureuse de son œuvre avec les espaces d’exposition de notre château médiéval était appelée à se produire.
De ses origines lorraines, peut être, de sa longue fréquentation de la Provence et du pays niçois, sans doute, et de son caractère aussi bien porté sur l’ouverture que sur la méditation, très certainement, il a su tirer une combinaison unique de profondeur et de délicatesse, une écoute du monde apaisée et attentive qui se lit en toute transparence dans les différentes séries de son travail.
Armand Scholtès participe pleinement à la réflexion sur la dialectique entre la nature et la culture. C’est avec un grand plaisir que nous présentons cet été les « horizons multiples » d’une création au long cours. (Claude Renaudo)

Et Frédérik Brandi de poursuivre :

Le centre international d’art contemporain expose un panorama subjectif couvrant quatre décennies dans l’œuvre d’Armand Scholtès, incontestable artiste du XXIe siècle dont la modernité accessible, concentrée et minimale allie l’art primitif, l’art naïf et l’arte povera.

Christiane Rosner et Gilbert Pédinielli au vernissage de l’exposition « Horizons multiples » au CIAC

Dans une production où l’exactitude du geste se refuse à contraindre la sensibilité, c’est une assez inhabituelle capacité d’observation, voire d’émerveillement qualité aussi rare que précieuse qui s’exprime avec constance, offrant ainsi à l’humain un rôle essentiel y compris dans l’absence de sa représentation. En effet, chez Armand Scholtès, artiste multiple, d’une grande richesse et d’une grande cohérence, la mesure de l’art est d’abord celle de l’homme. Et si la mémoire y trouve sa place « résidus issus du fond des temps, toujours actuels et porteurs d’avenir » c’est une mémoire qui annule les frontières, de manière analogue à la juxtaposition de strates historiques qui caractérise le château de Carros.
Par le médium de ses peintures, tentures libres, dessins, papiers, objets et autres installations aux formats souvent extrêmes, c’est tout un monde lointain qui se déploie devant nos yeux, selon un parcours rigoureusement agencé. Mais, singulièrement, ce monde est aussi et d’abord le nôtre, si proche qu’il nous semble le découvrir comme au premier jour, en toute intimité. (Frédérik Brandi)

Les affinités électives d’Armand Scholtès

Jean-Baptiste Pisano, historien d’art (LAPCOS, Université de Nice-Sophia Antipolis), sous le titre : « Les affinités électives d’Armand Scholtès », écrit, pour sa part, entre autres :
… Si l’œuvre d’Armand Scholtès peut s’apprécier de prime abord au travers de la liberté et de la créativité de la gestuelle, elle relève d’une alchimie complexe qui fait de sa création une « peinture où la plastique rejoint l’énergie »’. Elle s’émancipe le plus souvent des contraintes du sujet pour n’exprimer que la couleur pure qu’il inscrit au travers des formes empruntées à un vocabulaire géométrique tout autant qu’approximatif. Dans l’incertitude féconde qui sied à celui capable d’abandonner leur relation au hasard. Le spectateur y trouvera là la manifestation d’un doute, déchirant comme l’éphémère, et réconciliant comme une promesse.
Il s’en détache une dimension mélodique où bois, toile, tissu, vernis, enduits... servent à reformuler le canevas d’une création dont chaque élément constituerait un des fils de la trame.

Frédérik Brandi, Christine Charles, Armand et Joël Scholtès au vernissage de l’exposition « Horizons multiples » au CIAC

Surtout quand il tire du pli matière à disposer des lignes, qu’il situe en des compositions réfléchies les unes par rapport aux autres Sans Titre, 1978, (p. 14) . Ainsi, à rebours d’une construction orientée autour de déterminismes objectifs, il se situe dans un parcours aux trajectoires incertaines, à la façon dont parfois certaines de ses feuilles laissent deviner, en transparence, des nervures tremblées. Et il ne s’agit plus dès lors simplement de manifester la beauté du champêtre, mais bien plutôt d’en révéler toute sa poésie cachée. Etc. (Jean-Baptiste Pisano, Nice, 21 avril 2013)

(A suivre)

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