Il ouvre les portes sur un univers illimité, secret, silencieux, dans lequel on entend le bruit tonitruant des délires, des hardiesses, des impertinences, des plasticiens répondant à la parole des poètes, formés en associations de couples organisés. Alain Freixe dit d’eux qu’ils sont « de mèche » alors que c’est lui même qui allume la flamme.
- Christian Depardieu et le museur Alain Freixe - Photo AC
Deux créateurs que rien ne prédisposait à se rencontrer vont créer une œuvre commune.
Vingt et un exemplaires d’un même texte sont 21 fois imprimés sur 21 feuilles de papier d’Arches, qui mettent le plasticien dans la situation de répondre 21 fois par une œuvre identique. Ces 21 œuvres seront ensuite réparties entre chacun des protagonistes de manière à ce que chacun dispose de sept exemplaires. Ainsi Alain Freixe s’est constitué une jolie collection de deux cents « livres ».
Deux cents poètes-plasticiens mis dos à dos, Michel Butor, Bernard Noël, Daniel Leuwers, Raphaël Monticelli, Yves Ughes, André Velter, pour la poésie, Martin Miguel, Max Charvolen, Marcel Alocco, Gérard Sérée, Maccheroni, Lionel Balard, Bruno Mendonça, pour les arts plastiques, pour ne citer qu’eux. On trouve des noms connus, des noms inconnus, les premiers rencontrant les seconds et vice versa.
Ces oeuvres croisées, se retrouvent sur un luxueux papier d’Arches sous la forme d’une image et d’un texte imprimé.
Tout le monde est d’accord pour rejeter le mot « illustration », il ne s’agit pas d’être redondant. Alain Freixe est poète, et comme poète il sonde les mots. Il est dans la situation d’un chercheur de l’image la plus juste, s’essaie à cerner le sujet comme s’il y avait impossibilité à décrire dans un domaine si mobile. C’est dans un vocabulaire de guerre qu’il s’exprime : « combat entre l’image et le texte, confrontation », ou d’amour :« les mots et l’image ça peut s’effleurer dans une lutte amoureuse ». La poésie, dans ces croisements, étant le lieu où la parole n’est jamais définitive, elle se désaccorde bien avec la pratique plastique.
Des modes d’expressions quasiment sans limite, peinture, lavis, crayons de couleurs, eaux fortes, photographies argentiques, lavis, bois gravés, collages de papiers froissés, brûlés, déchirés, cousus, plaies rapiécées avec du fil de fer et même béton. Parfois le papier est crevé, parfois la peinture déborde et recouvre le texte. Une grammaire de formes inattendues, pleine d’inventions qui tiennent de l’expérimentation, du geste, de l’acte affranchi, débridé, exalté...
Ces livres sont avant tout des œuvres d’art, ces œuvres d’art qui ressemblent un peu à des livres, se présentant sous la forme d’une unique feuille de papier pour les Cahiers du Museurs, mais pour lesquels existe un travail d’édition, parfois de véritables livres pour la collection A Côté, qui réunit textes et images dans un même étui toilé, ou sous forme de leporello* pour Mano a Mano.
Le point de départ, c’est l’histoire du Graal quand Perceval tombe en arrêt devant trois gouttes de sang dans la neige. Ces trois taches ayant inspiré Martin Miguel dans un des premiers cahiers. Trois petites taches rouges sur les traces desquelles des mots naquirent. Cela a commencé en 2005, cela a fait tache d’huile…
Annick Chevalier
*leporello également appelé livre accordéon est un livre qui se déplie comme un accordéon grâce à une technique particulière de pliage et de collage de ses pages.
- leporello - Photo AC