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L’ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 7 : Les apports de l’Ecole de Nice - 2 - - Chronique Bimensuelle - par André Giordan et Alain Biancheri

Résumé des chroniques précédentes

L’Ecole de Nice s’exprime au travers de compressions, d’accumulations, d’oblitérations néoclassiques, de restes de repas, de collages, de déchirements, d’extensions, de cinétique, de tissages, d’assemblages géométriques, de coulées, d’arcs minimalistes, de patchworks, de tas de charbon, de bois brûlés, de traces de vent, de corps de femmes ou d’escargots, etc,. « Enfant » de Duchamp et de Malevitch, les artistes de l’Ecole de Nice « souhaitaient » contester l’art. Mais était-ce leur seul projet ? A travers l’art, quels regards portaient-ils alors sur la société ?

L’Ecole de Nice ne conteste pas seulement l’Art, en proclamant comme Ben : « Tout est art » !.. Les divers artistes de l’Ecole « exploitent » ou plutôt explorent, croisent les différents domaines de l’art. Cependant à travers leurs différentes productions artistiques, leur projet est plus ample ; chaque œuvre se voulait une « parabole » pour contester leur société, à travers ses rituels et surtout ses valeurs. Du moins pour la majorité d’entre eux, du moins à l’origine !.. Aujourd’hui la plupart l’ont oublié ; certains l’ont complètement gommé et le réfutent…

Ben, Tout est art, 1961
Ben, Tout est art, tout est marchandise, boutique de Ben en 1963 à la rue Tondutti de l’Escarène

Un questionnement sur une époque

Sans doute, le mot « contester » est-il trop fort pour qualifier l’ensemble de ce mouvement ! Disons plutôt : comme « l’art égale beauté » n’est plus à l’ordre du jour dans les mouvements d’avant-garde des années soixante, la pratique artistique se doit de devenir : « conscience » ou « éthique » ! Fût-ce un propos politique ? Oui ! Au sens noble du terme ; un enrôlement partisan, sûrement

André Villers, Photographes stupides, (1998, Collection Alain Amiel, photo Séverine Giordan)

pas. D’autant plus que les tendances de ces jeunes artistes furent des plus diverses. Dans le groupe Supports-Surface par exemple, Dolla sympathise alors avec l’anarchie, pendant que Bioulès, Cane, Devade, Dezeuze se solidarisent avec le communisme ; puis pour certains d’entre eux avec le maoïsme…
Rien à voir en tout cas avec la peinture révolutionnaire ou l’art soviétique. Plutôt que de parler d’engagement direct, les « projets politiques » de ces artistes de l’Ecole de Nice sont singulièrement implicites. Ils se caractérisent surtout par un questionnement sur leur époque ou une quête de proximité.

« Le peintre n’est ni concepteur, ni créateur, mais un individu traversé par une époque »

Claude Viallat cité par Jacques Lepage, « Claude Viallat. Un travail spécifique du champ pictural », in Opus internationnal, n°61/62, Janvier-février 1977, p.34.

Aucun ne cherche de réponse précise à des problèmes sociaux précis. Ils se satisfont dans la dénonciation. Ce qui les motive est d’éprouver le réel ; à travers leurs œuvres, ils s’essaient à le révéler dans ses mécanismes. Leurs interventions sont multiples, ces artistes donnent à voir. Ils débusquent les « aliénations », et pour commencer les liens qui unissent l’univers de l’argent et celui de l’art ! Autant de points aujourd’hui bien oubliés…

« Au commencement était un petit groupe de jeunes gens qui pensait pouvoir changer la forme et l’esprit de l’art et par là même changer l’univers. C’était le début des Seventies. L’art pouvait être fait de torchons, de serpillières, de mouchoirs, il pouvait même être Ménager… Ce petit groupe croyait dur comme fer que Marx avait encore de beaux jours devant lui, que Freud et Lacan n’étaient pas des farfelus, que Debord, Lévis-Strauss, Mallarmé, Artaud, Umberto Ecco, Deleuze, Guatarri, Guevarra, Castro et tant d’autres, étaient les leviers d’airain d’un monde nouveau, plus juste et plus intelligent. Tout simplement le rêve d’une société plus humaine. »

Noël Dolla. A propos de Supports-Surface, 2006

Une société conservatrice à contester

Malgré une expansion économique formidable des « trente (années) glorieuses), la structure des rapports sociaux dans la société occidentale était restée très figée dans les années 60. « L’ordre bourgeois », comme ils disaient, continuait à maintenir une chape de plomb –jugée totalement hypocrite- sur les rapports sociaux. Et ce climat était particulièrement lourd à Nice, alors très « provinciale » …
C’est dans ce décalage complet qu’est née la contestation de ces jeunes artistes. L’autorité et les traditions sont battues en brèche dans toutes les gérances. Leurs tentatives apparaissent multiples et désordonnées ; elles traduisent toutes un fort désir pour une société qui « libère » l’individu. C’était pour eux le début d’un « temps nouveau », du moins le disaient-ils ? Le… croyaient-ils ?..

Interprétation d’une oeuvre. Max Charvolen

 Démarche-évolution

Max Charvolen, Villa Fragonard Escalier,1968
Parcelles de tissus collés/ pigments . Collection MAMAC

Max Charvolen né à Cannes en 1946. Avec Dolla, Macaferri et Miguel il suit à partir de 1964 les cours aux Arts Décoratifs de Nice ; il a Claude Viallat comme professeur et continue les études d’architecture à Marseille, où il enseigne actuellement.
Il s’est tourné vers le questionnement de la peinture en participant au groupe INterVENTION, formé par Alocco et Monticcelli en 1968, ce qui a conduit à la formation du Groupe 70. Ses premiers travaux concernent la série des Echelles, il intervient sur des éléments qu’il recouvre, peint ou transforme. Puis il interroge le support, la matière et la couleur, dans la lignée du mouvement Supports/Surfaces. L’artiste va intervenir sur des lieux très connotés comme Naples ou le site de Delphes pour recouvrir certaines endroits précis (escaliers, rampes, balustrades, colonnes…) et mettre à plat le tissu foulé par l’homme.
Mémoire du temps et du passage, métamorphose du volume à la planéité.

Description Interprétation

Des tissus collés au mur se déploient de manière irrégulière, en laissant une zone évidée au centre. Certaines formes référentielles sont assez précises : évocations de balustres, de chapiteaux, ou d’escaliers... D’autres éléments plus incertains sont constitués de collages de tissus, avec dans la partie supérieure, des empreintes et des traces de pas. Cet ensemble de tissus paraît vieilli, voire abîmé. La démarche de l’artiste prend toute sa signification avec cette œuvre gérée par le temps : Max Charvolen a enveloppé certains éléments architecturaux qui constituent les lieux de passage et de vie de la villa Fragonard. Ce lieu de circulation avec rampes et escaliers, a été marqué par le déplacement des gens qui ont laissé leur empreinte. L’artiste défait ensuite les tissus et présente le résultat appliqué au mur. La démarche de l’artiste et son cheminement n’apparaissent pas immédiatement et les connotations sont multiples. L’idée d’enveloppe est suggérée par la forme de ce patron déployé, et les traces de pas ou les empreintes évoquent la notion d’éphémère, de temps qui passe et de souillure d’un lieu. L’architecture est revisitée puisqu’on la voit sous forme plane, proche du croquis ou d’une esquisse.

Morphologie

Un polygone irrégulier se détache de la forme globale ; le vide central, plutôt rectangulaire, semble diviser l’ensemble en trois bandes horizontales et inégales en créant un dynamisme des formes. Les accidents de la silhouette extérieure donnent une certaine vie aux surfaces qui se déploient et animent tous les contours. La grande diagonale formée par la ligne brisée de l’escalier accentue l’axe de la composition par un effet cinétique (tel le Nu Descendant l’Escalier de Marcel Duchamp) relayé par la succession des lignes verticales. Cette ligne de force guide le regard vers la droite, où se situent les éléments identifiables de l’architecture. Le dynamisme général est équilibré par le jeu des courbes et contre-courbes, à droite, qui empiètent sur le rectangle supérieur en jouant le rôle d’élément de liaison ; la répartition des pleins et des vides, des surfaces morcelées et des zones de repos dénotent le côté pictural de l’oeuvre.

Chromatisme et valeurs

L’ocre jaune avec toutes sortes de nuances, chaudes et froides, constitue la dominante colorée. Les références se trouvent au niveau de la quantité colorée, et de la prégnance enveloppante de cette couleur : chez Matisse ou les peintres américains du Colour field, la couleur devient le tableau par son remplissage homogène. Quelques variations plus pâles (la rampe) ou plus foncées, (les traces de pas) évoquent une modulation de surfaces dans l’esprit Cézanien. La couleur perd de son homogénéité au profit des variations chromatiques, liées au support, auxquelles s’ajoutent quelques rehauts de la complémentaire bleutée au niveau des balustres et dans la partie inférieure à gauche.
Nous ne sommes pas devant un monochrome, mais devant une oeuvre qui montre sa filiation, assumée par toute la génération de cette époque et le Groupe 70 en particulier.
La couleur n’est plus totalement homogène en raison de la durée, du passage du temps et des traces humaines ; les alternances de clairs et de foncés évoquent l’effet cinétique, rehaussé par les graphismes sombres des balustres. Par les surfaces ainsi étalées, tout semble mis à plat. Ni fuyantes, ni modelés : tout redevient frontal ; le rabattement de tous les volumes et l’aplatissement des figures renoue ainsi avec les démarches artistiques qui ont remis en question la perspective de la Renaissance, avec ici une application directe sur des éléments réels ; les raccords de collage ou de couture sont des graphismes qui structurent la composition.

Les Chroniques précédentes :

Chronique 1
l’école de Nice

Chronique 2
école de Nice2

Chronique 3.
école de Nice comment tout a commencé

Chronique 4.
école de Nice, des lieux des rencontres

Chronique 5.
école de Nice un passé culturel incomparable trop méconnu

Chronique 6.
les apports de l’école de Nice

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