Arman, fidèle en amitié
Chaque année, Arman envoyait ses vœux à Frédéric Altman sous la forme d’un collage, celui qui est présent dans l’exposition concerne l’année 2003 et dans le catalogue Frédéric a écrit : « Depuis sa disparition en 2005, Arman est toujours présent dans ma mémoire.
Cette œuvre, dernier cadeau de l’ami deux ans avant sa disparition, habite les murs de mon domicile niçois... Arman, on le sait, est l’un des pères fondateurs du Nouveau Réalisme et de l’Ecole de Nice en compagnie de ses amis Yves Klein et Martial Raysse... Il était d’une fidélité exemplaire, ce qui est rare dans le milieu artistique... Arman a toujours été bienveillant à mon égard. Nous avons été, en compagnie de Nivèse, accueillis avec une réelle spontanéité dans ses différents ateliers à New- York et Vence... J’ai eu dans ma vie professionnelle des compagnons de route extraordinaires : César, Ben, Pierre Restany, Otto Hahn... Mais Arman a une place particulière dans mon Panthéon artistique ».
Marie Raymond, mère d’Yves Klein mais peintre elle-même
Marie Raymond, qui est née à La Colle-sur-Loup en 1908, était la mère d’Yves Klein, et un excellent peintre, et Frédéric Altman a prêté pour l’exposition l’un de ses très beaux collages matissiens : « Marie Raymond, dit-il, n’était pas une courtisane des médias, elle fut de son vivant ignorée des grands musées, comme beaucoup d’autres de ses consœurs.
Nous sommes très heureux de voir un échantillon de son œuvre aux cimaises de Sainte¬-Agnès, en compagnie de ses amis Arman, André Villers, Yves Bayard et Jean Villeri. Elle repose en paix dans le petit cimetière de la Colle sur Loup auprès de son fils Yves Klein et à un jet de pierre d’Yves Bayard... Arman, lui, repose au Père Lachaise, et il y a, gravée sur sa pierre tombale cette phrase : « Enfin seul ».
Frédéric raconte par ailleurs : « N‘oublions pas le rôle de Marie Raymond, peintre et la mère d’Yves Klein…. qui a largement ouvert les portes de son appartement de la rue d‘Assas à Paris, en accueillant entre autres les jeunes artistes niçois, Arman, Martial Raysse, Chubac… c’étaient Les Lundis de Marie Raymond. L’histoire de l’Ecole de Nice était alors en marche, aussi grâce à elle ! »
Frédéric aime bien relever une misogynie qu’il déplore, ainsi lorsqu’il rappelle que Camille Claudel a terminé ses jours dans un asile psychiatrique, qu’on ne parle plus de Germaine Richier (1902-1959), passée de la lumière … à l‘ombre avec l‘arrivée sur le devant de la scène de César ? Et que dans les années 70 Annette Messager eut ces propos : « En tant que femme, j’étais déjà une artiste dévaluée. Faisant partie d’une minorité, je suis attirée par les valeurs et les objets dit mineurs. De là sans doute mon goût pour l’art populaire, les proverbes, l’art brut, les sentences, les contes de fées, l’art du quotidien, les broderies, le cinéma… »
André Villers, le miroir magique
Né en 1930 près de Belfort, André Villers est venu à Vallauris en 1947 et en 1952 commença ses expérimentations photographiques, immortalisant Vallauris et ses habitants. En mars 1953 il rencontre Picasso qui lui offre son premier Rolleiflex. Il réalisera beaucoup de portraits de celui-ci, faisant même avec lui une œuvre à quatre mains. (Diurnes, avec texte de Jacques Prévert). André Villers va photographier les plus grands artistes tout en continuant d’expérimenter du point de vue technique (solarisations etc.), mais aussi en utilisant le découpage. La ville de Mougins l’a honoré par la création d’un Musée de la Photographie qui porte son nom. La Galerie Alexandre de la Salle l’a souvent exposé, et surtout, l’été 1990, ses « Portraits de Picasso », dont Alexandre a écrit : « Elle fut bien belle ton exposition des portraits de Picasso, de ses multiples visages, annoncée par le grand œil noir capteur de tous les mondes. (…) Et merci pour ces secondes vies que tu as données à tant d’autres... T’en dire plus ? Mais bien d’autres l’ont fait, et qui ont dit, sinon tout, mais du moins tant de choses, sur toi, ta vie, ta compagne. Et ton talent ! » (Alexandre de la Salle).
André Villers a toujours manifesté de l’intérêt pour l’œuvre de Frédéric Altmann, en mars 1989, à Mougins, il a écrit : « Frédéric Altmann est un des rares parmi ceux qui passent leur vie à mettre en évidence celle des autres. Ce qu‘il pratique et régulièrement, c‘est l‘altruisme. Il ne s‘embarrasse pas de noms connus, mais découvre les valeurs cachées en levant les couvercles, chapeaux et singuliers de l‘art. Qu‘il s‘intéresse à mon travail m‘aide à vivre, à continuer. Frédéric est mon ami et j‘en suis très fier ».
Alors, juste retour des choses : « André Villers, écrit ce dernier, dès son plus jeune âge, avait pour objectif la photographie... mission accomplie, grâce aussi à ses rencontres marquantes : Picasso, Prévert, Doisneau, Lacan, Buñuel, Ionesco, Ponge, Norge, Butor, Brassaï, Hartung, Lartigue, Cocteau... des rencontres importantes et stimulantes pour cet homme à la discrétion légendaire... Il m’a pris rapidement dans son objectif… car avec lui, c’est la vie et noir et blanc ... dans les yeux du souvenir » (Frédéric Altmann)
LE TRIANGLE D’ART Á GORBIO
La version « Gorbio » du Triangle d’Art traitait, au Château, de la question de la photographie, en la personne de Frédéric Altmann et Lionel Bouffier.
Frédéric Altmann, photographe à deux voix
Frédéric Altmann, photographe à deux voix : voie documentaire, que tout le monde connaît, les milliers de clichés montrant, dans toutes sortes d’attitudes, des centaines d’artistes des Alpes-Maritimes et du monde entier, et la voie moins connue, sauf des conservateurs de musées, la voie poétique, ethnique si l’on peut dire, particulièrement en ce qui concerne son témoignage sur le Borinage. Il en sera question plus loin.
Lionel Bouffier, poète de la ville
Lionel Bouffier, lui, a déjà certainement ses aficionados, c’est un jeune photographe qui met en scène des lieux, les détournant de leur sens le plus évident pour leur faire rendre un jus très inattendu … la ville, par exemple, telle qu’on la connaît et telle justement qu’on ne la connaît pas. Car Lionel Bouffier la surprend dans une rencontre, avec un nouvel éclairage, un personnage, une situation. S’il s’agit de mises en scène on sera du côté du suspense, du fantastique, du scoop…
Lui-même s’explique dans le catalogue de l’exposition de Gorbio : « Etant surtout autodidacte, j’ai pratiqué longtemps la photo de sport. Puis dans le reportage événementiel, et même dans le studio ! C’est ainsi, en ayant vu divers aspects techniques et créatifs de la photo, que j’ai pu forger mon style, après avoir imité celui des autres… A présent je suis dans une démarche où j’essaie de finaliser une série en partant d’une idée… Les mises en scène sont le fruit de mon travail, j’y travaille longtemps avant d’appuyer sur le déclencheur, l’image est d’abord dans ma tête. Il me faut ensuite trouver un lieu et des personnages pour que la scène prenne vie. Finalement le boîtier photo n’intervient qu’au dernier moment ».
Au bout de la nuit…
Michel Isnard, Maire de Gorbio, présente ainsi cet artiste qu’il a l’air de beaucoup apprécier : « Lionel BOUFFIER est un jeune photographe dont le travail jouit déjà d’une belle renommée. Cet autodidacte, avec tout ce que cela implique de libertés, aurait pu être metteur en scène dans le cinéma… nombre de ses photos nous amènent, en effet, à des instantanés de films que notre inconscient saisit pour en écrire un possible scénario… Ce qui m’a surpris, c’est cette facilité que nous avons à faire nôtres des situations que l’on découvre. Soit qu’elles illustrent des idées que l’on se fait du monde ou de son avenir soit qu’elles évoquent des rêves ou des cauchemars entrevus. En attendant, Lionel va prendre son camion, un groupe électrogène, des projecteurs, son appareil photo, et il va entraîner avec lui ses copains figurants avec leurs tenues et leurs accessoires… Car il a construit quelque part, au bout de la nuit, dans sa forme et toutes les contraintes techniques de mise en scène, son prochain cliché, un seul, unique, déjà entièrement incarné dans sa vision intérieure »
A suivre..