Martine Guée, mail art ou bouteilles à la mer ?
Pour Martine Guée, née à la Garenne-Colombes en 1950, et qui vit et travaille à Vallauris, Alexandre de la Salle, qui l’a beaucoup exposée, a écrit : « J’en sais Une pour qui toute image est peinture et écriture. Eléments communs du même Désir de Dire. Dire quoi ? La Vie en général, LA Vie des Autres... de ce qu’on leur fait, de ce qu’ils ne peuvent pas, interdits, sacrifices, espoirs déçus, de leur petitesse aussi de leur marche avant retardée SA Vie, misères, mémoires, révoltes, enthousiasmes que, sur Elle même L’Autre, elle a saisi compris, pour en faire cette imparable saga, où, sur un ciel nu, on voit déferler, hurler, chanter, l’immense gélatine des sans voix, de ceux qui voient, ne peuvent rien, leur révolte, une révolution, peut être, un jour, pour qu’enfin il y ait des Hommes : ils savent leur Force, sans la savoir encore. (Alexandre de la Salle)
Jean Villeri, entre sang et levain
Jean Villeri, né à Oneglia (Imperia) en 1896, mort à Cagnes-sur-Mer en 1982, a écrit ce bel aveu, qui parle assez bien de ce collage rouge sang exposé à Sainte-Agnès, ce conglomérat de matières témoin d’un doux combat entre la planète et l’humain, au nom d’étranges pétrissures : « Une surface que j’aime, que je fais que je laboure. Je fouille en ses racines. Je l’ouvre jusqu’à rencontrer mon sillon. Elle croît et je la rencontre. Je la frappe. Je la brise. Je la détruis. Je m’écorche. Des fois je la caresse. Parfois la lumière surgit, l’espérance, parfois rien. » (Jean Villeri).
En 1996, pour le 3e Triangle d’art, Jean Villeri exposait à Breil sur Roya, et, dans le catalogue, en hommage à Jean Villeri, André Villers avait eu la bonne idée de publier une lettre qui commençait ainsi : « Mon cher Jean. Un petit mot rapidement depuis le temps que je voulais t’écrire… »... et qui se terminait par : « Anne Marie viendra demain pour déjeuner. Tes oreilles vont te siffler à moins que tu ne sois auprès de nous. Ciao, Jean ». Cela saute au cœur parce que manifestement André Villers avait compris la dimension transgressive du naturel de Jean Villeri. Pas un naturel maniériste mais au contraire celui des éléments plus ou moins déchaînés, manière d’affronter le monde avec son corps, de plaquer sur la toile des paquets de sensations déflagrantes, et la matière comme lave refroidie. Villers, dans l’économie de cette lettre, emploie des mots clés : le sang, le levain. Ce qui ressort des œuvres de Jean Villeri, c’est cette projection d’une Terre foudroyée, livrant ses formes chamaniques, ou de plantes qui « prennent » lorsqu’elles trouvent leur terreau, et jubilent en noces éblouissantes. Du côté de la mer, ce sont les mêmes pêches miraculeuses. René Char lui aussi a trouvé une phrase qui chante pour évoquer son ami « Un peintre lanceur de graines ! » Mais le père de Jean Villeri était musicien, et les symphonies baroques qu’il produit en attestent, truffées de « blue notes », ces longueurs d’ondes sorcières qui lancent des charmes excommuniés. « Je voudrais peindre un tableau qui tue », a t il confié à Anne Marie. Est ce pour faire mourir d’amour, comme il arriva à Stendhal en Italie, évanoui d’émotion ? Oui, Villeri s’attaque au corps. Mais c’est pour l’extase. Son retour au Triangle d’Art est un cadeau, et la marque que cette manifestation reste révolutionnaire en ce qu’un parcours intime à travers la sauvagerie du Sud, ses genêts et ses pierres magnétiques continue de préserver, pour le monde contemporain, ce qui se fait rare, un alambic des secrets.
Guy Florès : une peinture de « sauvage » (c’est lui qui le dit)
Guy Florès, né à Oran en 1952, vit et travaille à Nice, et poursuit sa route, explorant divers gestes et irruptions de choses signifiantes, sur un mode un peu chamanique… les choses en question étant accueillies aussi bien par l’esprit que par la main, la peinture, cette fois ci la colle. Mais s’agit il de la glu avec laquelle au Moyen-Age on attrapait les oiseaux ? S’il attire et capte des objets volants non identifiés, son langage reste la fameuse langue des oiseaux, celle de l’intuition pure, cette langue secrète permettant des rapprochements inédits, un codage iconique. Dans le vocabulaire plastique de Guy Florès, en étant amplifiées, dirigées, violentées, des traces qui semblaient dues au hasard se tissent en un discours crypté que le spectateur prend dans son corps comme l’expression de tempêtes hétérogènes.
Pierre Jobard, chimères ludiques
Pierre Jobard, né en 1942 à Paris, vit et travaille à Saint-André-de-la-Roche est-il animé de la volonté de rendre perpétuellement recyclable toute image, toute idée ? Les surréalistes avaient pu y créer des mixtures pour atteindre à quelque chose qui leur plaisait beaucoup : une inconvenance qui du même coup démystifiait le risque d’adoration de l’œuvre d’art, la désacralisant. Les rencontres inusitées, les reconstructions selon des logiques déplacées créent pourtant ce qui dans nos rêves nous importe tant : ces tensions uniques, intimes, libérées de la nécessité toute sociale de la « normalité ». Dans cet espace reconstruit, du rêve et de l’art, l’audace est de mise, sans culpabilité, sans punition, des monstres peuvent se déployer, au sens de chimères, improbables associations qui en disent long sur le désir de réinventer le monde à notre propre usage.
André Rosner ou l’élégance baroque
André Rosner, né à Targu-Mures (Hongrie) en 1915, mort à Nice en 2002 est l’un de ces chercheurs en esthétique qui se soucient peu de mondanités et que l’Histoire de l’Art rattrape eu égard à l’intensité de leur œuvre.
En octobre 1994, dans le catalogue d’une exposition chez Laure Matarasso, Frédéric Altmann écrivit : « Pendant des années, Rosner poursuit des recherches, intensément, les œuvres s’accumulent dans l’atelier, des abstractions géométriques, cartons ondulés, collages, papiers peints, ficelles, des œuvres qu’il qualifie de géométrisme vivant ». Michel Gaudet, Jacques Kober, Henri Goetz surent aussi trouver des mots justes sur André Rosner, et, lors de l’exposition de ses découpages collages au Musée de Saint Paul, André Verdet souligna l’élégance baroque et la rigueur plastique créant le jeu d’une ambiguïté. Ambiguïté qu’avait théorisée André Rosner lui même en 1985 : « Accorder, marier les diversités, même celles qui semblent parfois inconciliables, c’est là le fond de ma nature et c’est donc, sans doute, ce qui caractérise mon travail ». Ambiguïté ? Il semble que peinture et poésie, art primitif, art brut, divers avant gardismes soient effleurés afin d’être réintroduits dans un « universalisme » que Rosner détecterait chez les plus grands.
Bernard Taride, de quoi « réfléchir »
Bernard Taride en utilisant une matière à la fois cassante et dangereuse, rigide et coupante, évocatrice de la capacité à blesser, à tuer même, Bernard Taride atteint notre capacité fantasmatique en plein cœur, en plein centre d’une cible sensible.
Il y a ajouté une hache réelle pour trancher des visages, perturbant l’image de ceux-ci, les subvertissant au regard de corps (ici paradigmatiquement visage et main de Bernard Taride, se réfléchissant, réfléchissant ?) qui se déplacent dans l’espace temps pour les envisager. L’expérience devient vibrante d’angoisse car le visage est la partie la plus proche de la notion d’identité. Ce n’était pas d’enlaidir qu’il s’agissait, mais de dé figurer, d’introduire la faille, cette fameuse coupure que tout le champ de réflexion contemporain a repéré à partir de la linguistique, en passant, bien sûr, par Lacan. Clivage, objet perdu, manque... toutes les expressions de la conscience qui tente de se penser elle même sans y arriver seront convoquées pour faire saisir le saisissement, la sidération provoqués par le miroir coupé, et coupant. Dans ce collage (cette série de collages ?) Bernard Taride réintroduit de l’imaginaire, en effraction à travers le miroir, mais sous l’écriture de l’A R T, ce qui, dialectiquement en refait du symbolique.
A suivre...