| Retour

ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 25 : Le MAMAC et l’Ecole de Nice (2) - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes


L’Histoire de l’Ecole de Nice n’est pas un long fleuve tranquille. Le superbe instrument qu’est le MAMAC est peu loquace sur cette mouvance de l’art. Difficile de se faire ainsi une « idée » sur l’Ecole de Nice à… Nice ! Il est vrai que le MAMAC ne fut pas « pensé » pour elle. Les milieux de l’art et les politiques se méfiaient de ces artistes « révolutionnaires » et ces derniers contestèrent l’inauguration (Chronique 23). Est-ce à dire que les rancunes ou les « non-dits » restent tenaces ?...

Point de fiche, point de livre, pas de plaquette, un espace très réduit –pas même une salle complète- (voir Chronique 24). Les seules références sur l’Ecole que l’on trouve sur place est un petit « cadre » comportant la liste des artistes –ceux qui ont exposé au Centre Pompidou- et un minuscule encadré sur les pages-plaquette de Malaval et d’Ernest Pignon Ernest.

Encore faut-il être à l’affût pour les trouver !

Sur cette page, l’Ecole est présentée ainsi :
« L’Ecole de Nice est un vocable recouvrant une sélection d’artistes de la région niçoise. Il permet d’appréhender la jeune création locale en parallèle et souvent en opposition à la scène parisienne de l’Art Contemporain dans les années 65 à 80. Le choix des artistes présentés est le reflet de l’exposition inaugurale du Mann-cci de Paris 1977 « A propos de Nice » dont le commissariat avait été confié à Ben »

En sait-on beaucoup plus après ? Pour ceux qui suivent ces Chroniques ou qui ont lu le livre d’Alocco, le nôtre ou encore le livre d’entretiens d’Edouard Valdman, la richesse et l’intensité de l’Ecole ne sont point au rendez-vous… Comment cette mouvance s’est-elle mise en place ? Par quels cheminements est-elle passée ? Pourquoi à Nice ? A cette époque ? Qu’ont voulu proclamer ces artistes ? Défendaient-ils tous la même idée ? Les démarches se voulaient-elles seulement en opposition à Paris ? Etait-ce alors un simple mouvement régionaliste ?.. Ou a-t-elle une place particulière dans l’Histoire de l’art ?
Après la visite du MAMAC, les visiteurs non avertis demeurent tout autant apathiques… Pire, ils repartent souvent avec une vague idée d’imposture !

Chubac, Maquette, 1965, MAMAC

Dans ces derniers textes de son site, le MAMAC a même résolument tourné le dos à cette mouvance. L’accent est mis sur « le Nouveau Réalisme européen et l’expression américaine de l’Art d’assemblage et du Pop Art ».

Le programme artistique du musée trouve son articulation essentielle dans le rapport entre le Nouveau Réalisme européen et l’expression américaine de l’Art d’assemblage et du Pop Art. Cette confrontation relève d’une réalité historique attestant de fortes connivences entre ces deux mouvements.
Les collections du musée en rendent compte : les oeuvres des Nouveaux Réalistes attestent de leur parcours depuis le Manifeste Parisien jusqu’à l’exposition bilan en 1970 en Italie. Les artistes du Pop Art new-yorkais sont présents avec des oeuvres significatives. L’image emblématique du musée, dans cette même charnière des années 60, est donnée par la salle Yves Klein qui propose un ensemble exceptionnel d’une vingtaine d’oeuvres majeures de l’artiste, grâce au dépôt à long terme accordé par Rotraut Klein et Daniel Mocquay.L’Abstraction américaine est représentée par les tenants de la Post Painterly Abstraction avec Kenneth Noland, Jules Olitski, Larry Poons, mais aussi Morris Louis et Frank Stella.
 Programme du MAMAC présenté sur son site

Seul Supports-surfaces et le Groupe 70 ont encore droit à une existence, sans toutefois référence à la mouvance niçoise dont ils sont pourtant issus. Et encore, tous n’ont pas été élus : Alocco, Saytour, Valensi pour Supports-Surfaces et Chacallis, Charvolen, Isnard, Maccaferri et Miguel pour l’autre groupe sont oubliés ou gommés. Sur quels critères ?...

Les collections témoignent aussi de l’importance du développement des mouvements supports-surfaciens en France, et, plus particulièrement dans la région avec les propositions de Claude Viallat, l’implication de Bernard Pagès, Noël Dolla, Louis Cane et Vincent Bioulès.
Sont présents également, Daniel Dezeuze, Marc Devade. Le Groupe 70 prolonge, d’une certaine manière, la trace laissée par Support/Surfaces.

 Programme du MAMAC présenté sur son site

Les expositions temporaires

Au cours de ces vingt ans de présence, le MAMAC a certes proposé quelques expositions temporaires -sortes de rétrospectives- pour les artistes niçois et deux expositions de groupes ; quoique quatre d’entre elles étaient plutôt centrées « Nouveau réalisme » avec Arman César et Klein. Seuls Sosno, Ben, Dolla, Ernest Pignon Ernest, Chubac, Martinez, Malaval, Pagès et Venet ont eu véritablement droit « aux honneurs » !

 Bernard Pagès (20 octobre 2006 – 18 février 2007)
 Albert Chubac (28 janvier - 06 juin 2004)
 Sosno, oblitération : peinture - sculpture (07 novembre 2001 - 27 janvier 2002)
 Arman, passage à l’acte (16 juin - 14 octobre 2001)
 Ben, je cherche la vérité (17 février - 27 mai 2001)
 Yves Klein, La Vie, la vie elle-même qui est l’art absolu (28 avril - 04 septembre 2000)
 César, Suite Milanaise (03 juillet - 14 novembre 1999)
 Noël Dolla, Vir Heroicus Sublimis find us : Le grand Leurre (26 juin - 26 septembre 1999)
 Jacques Martinez , Peinture, Sculpture, Dessin (03 avril - 30 mai 1999)
 De Klein à Warhol - Face à Face France/ Etats-Unis (14 novembre 1997 - 15 mars 1998)
 Ernest Pignon-Ernest, Sudari di Carta (24 novembre 1995 - 10 mars 1996)
 Robert Malaval, Rétrospective, (24 mars - 12 juin 1995)
 Nice, un regard abstrait (20 janvier - 12 mars 1995)
 Bernar Venet, Rétrospective 1963-1993 (25 juin - 12 septembre 1993)
 André Verdet/"Pluriel" (02 octobre - 30 novembre 1992)
 Vivien Isnard (24 avril - 07 juin 1992)

Expositions temporaires sur les artistes niçois proposées par le MAMAC

On peut encore relever quelques performances d’artistes de l’Ecole ou quelques présentations plus ou moins « rapides », dans la petite salle à droite de l’entrée, comme celle du Peu de Jean Mas (12 mars - 18 avril 2004), un important travail réalisé par et avec les habitants de Bonson, un village très dynamique sur le plan de l’art, dans l’arrière pays niçois.

Jean Mas, le peu d’euro,

Depuis 2006, la source niçoise est tarie !

Plus aucun niçois n’est apparu sur le fronton du MAMAC… Ceux-ci doivent se contenter de la Galerie des Ponchettes ou de la Bibliothèque Nucéra –comme par exemple Nivese et Altmann, un parcours à deux voies (9 décembre 2010 au 13 février 2011) qui auraient mérité plus de considération de la part d’une institution niçoise.
Heureusement les musées étrangers ne les oublient pas !..

Et la scénographie ?

Quant à la scénographie, que ce soit celle de la petite salle Ecole de Nice ou celles des expositions temporaires antérieures, on ne peut dire qu’elle détonne ou étonne. Rien d’original ou de contemporain. Elle dénote plutôt les… années 50 ! Un comble pour un musée d’Art contemporain…

Exemple de muséologie de la Salle Ecole de Nice, Mamac, janvier 2011-02-20

Certes, il n’est pas le seul ! La présentation muséale en art contemporain n’a jamais été vraiment « cogitée ». Mais quand même, peut-on continuer à concevoir des expositions aussi frustres sur le mode impensé des Cabinets de Curiosité ! Si au moins c’était une volonté annoncée.
Sous le prétexte facile et répétitif de laisser le visiteur « faire seul son point de vue », « aller vers l’œuvre » ou « ressentir par lui-même », aucune « clef de lecture » n’est fournie. Les conservateurs croiraient-ils à la génération spontanée ? Quant aux liens lorsque… parfois ils existent, ils ne sont compréhensibles qu’en présence du curator ou du commissaire quand parfois celui-ci daigne partager.
Pourquoi réserver dès lors de telles présentations, uniquement au sérail ou aux détenteurs d’un master d’Art contemporain ? Et que dire des œuvres de Supports-Surface présentées comme des tableaux, quand ces derniers ont voulu –entre autres- « déconstruire » le tableau !

De plus, pourquoi ce paradigme permanent de n’exposer que le « cadavre », c’est-à-dire l’œuvre proclamée « finie » ; la dynamique de la création doit-elle demeurer aux « abonnés absents » ? Dans cet artefact, que reste-t-il de la richesse et la dynamique du travail de l’artiste . Comment pourrait-on approcher la Vie, si les Musées de sciences n’exposaient que des squelettes !

Quand le musée veut faire œuvre « pédagogique », la proposition se limite à n’être qu’un « couloir » -au sens propre- de panneaux… sous vitrines ! Des photocopies d’un livre que le visiteur pourrait plus agréablement feuilleter assis dans un espace « savoir plus ». Pourquoi autant d’indigences dans un lieu qui se veut de création ? Beaucoup reste à faire en la matière …

Le « Couloir » Yves Klein, MAMAC, exposition permanente

Une telle muséologie ne peut manquer de poser quelques questions : quel est le rôle dévolu au MAMAC ? Pourquoi investit-on à nouveau des dizaines de millions d’euro pour réparer les malfaçons du bâtiment d’origine ?
Historiquement, tout Musée se voulait le lieu dans lequel étaient collectés, conservés et proposés des objets –ici des « œuvres »- dans un souci de « cultiver » le visiteur, soit à des fins d’éducation, soit de délectation. Vu le coût d’un tel outil, peut-on continuer à investir sans exiger au moins un « retour sur investissement » culturel pour un plus grand nombre... et pour commencer pour les plus jeunes…

Quand à ceux –touristes ou niçois-, qui veulent mieux connaître l’Ecole de Nice, reste à prendre un billet d’avion pour aller la rencontrer en Suède, en Finlande, en Hongrie ou en Tchéquie !

Lettre de Ben à Claude Fournet à propos de la création du MAMAC

L’Ecole de Nice en Europe

Les artistes de nombreux mouvements des années 60 s’exposent dans les tous nouveaux musées d’art contemporains des capitales européenne ; il est vrai que ces musées fleurissent et ne veulent pas passer à coté de l’émergence des grandes figures qui ont marqué la fin du vingtième siècle.
Ne voit-on pas une rétrospective du mouvement Fluxus dans le magnifique Kumu de Tallinn en automne 2009- sobre construction minimaliste dématérialisée de l’architecte finlandais Pekka Vapaavuori, avec comme figure de proue Ben et ses nombreux aphorismes typiques des années 60 ?

Ben et Fluxus à Tallinn (photo Alain Biancheri)

Son voisin, le Kiasma d’Helsinki présente à la même période de 2009 quelques œuvres similaires dans le cadre d’une rétrospective sur le minimalisme. Et le musée d’Art contemporain de Stockholm regorge d’œuvres de Niki de Saint Phalle, César, Arman et Martial Raysse.
Le Mumok de Vienne n’est pas en reste avec une autre exposition en mai 2007 mettant en scène Spoerri pour Fluxus, Alocco, et bien d’autres membres de Supports/Surfaces ainsi qu’Yves Klein ; quand au nouveau centre d’art contemporain de Budapest qui a permis de déménager la collection Ludwig du Palais royal à l’extérieur de la capitale hongroise, il a présenté Claude Viallat en 2008 ainsi que de nombreux artistes qui lui sont proches.

Centre d’Art contemporain de Budapest (photo Alain Biancheri)

Mais qu’ont donc en commun ces célébrités du monde de l’art qui essaiment vers les nouveaux lieux de culte artistique éparpillés dans les capitales européennes ? Vous devinerez aisément leur dénominateur commun, et leur appartenance à une même école : l’École de Nice ! Et évidemment aucun mot, aucun cartel ni catalogue ne mentionne leur origine commune, l’ancrage que Ben, Klein ou César ont pu avoir au sein de cette création locale et le développement qu’ils ont pu apporter à l’art contemporain par rapport à ce mouvement reconnu (chez nous !). Que faudrait–il faire pour que leur filiation soit reconnue ailleurs ? Ces artistes sont présentés – et « représentés » par leur appartenance à une démarche, mais aucune mention n’est faite à leur mouvance et leur origine… tout reste à faire pour la reconnaissance de cette identité et pour que l’École de Nice ne demeure pas un néant, une ignorance hors des frontières locales.

Catalogues, articles, et analyses doivent développer la connaissance de cette École et son véritable apport. Ce que nous tentons au travers de cette suite de Chroniques et par des livres…

1- A. Biancheri, A. Giordan, L’Ecole de Nice, Ovadia, 2007
2 -Présent à l’exposition : « A propos de Nice », il a déclaré dans un livre consacré à l’École de Nice se sentir plutôt « étranger ou pour le moins marginal vis-à-vis de toute cette histoire ». Jacques Martinez, Moderne For Ever, Grasset, coll. « Figures », 02 mai 1985, 186 p.
3- Une seule vidéo est proposée à propos du travail de Klein dans la salle éponyme. Ce qui ne veut pas dire que l’introduction de vidéo soit la seule piste à exploiter. Bien d’autres voies sont à envisager pour redonner « vie » aux démarches, à travers les oeuvres.
4- Il nous faudrait parler encore des cartels, introuvables ou situés à plusieurs mètres, des multiples implicites dans les textes du couloir de Klein, en autre, etc...

Les chroniques précédentes


Chronique 1
Chronique 2
Chronique 3
Chronique 4
Chronique 5
Chronique 6
Chronique 7
Chronique 8
Chronique 9
Chronique 10
Chronique 11
Chronique 12
Chronique 13
Chronique 14
Chronique 15
Chronique 16
Chronique 17
Chronique 18
Chronique 19
Chronique 20
Chronique 21
Chronique 22
Chronique 23
Chronique 24

Artiste(s)