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La validité d’un titre de dessin et modèle

Titre de propriété industrielle, comme la marque ou le brevet, le dessin et modèle permet de protéger l’apparence des produits, leur côté esthétique. Il dispose d’une place privilégiée dans la mode, l’automobile ou l’électroménager. A l’instar de la marque, des critères doivent être respectés pour que qu’il soit valide, et confère à son titulaire un monopole d’exploitation. Mais cette validité peut, en cours de vie, être contestée par un tiers voire, le plus souvent, par un concurrent. Tel a ainsi été le cas d’un modèle de sac Yves Saint Laurent (YSL), dont la nullité a été sollicitée par H&M, dans le cadre d’une action judiciaire, à l’issue récente.

Une création esthétique peut être protégée aussi bien par le droit d’auteur que par le droit des dessins et modèles et ce, même s’il s’agit d’un produit à caractère industriel (une prise électrique, un verre, une capsule de café, un téléphone, une perceuse, …). Outre la protection conférée par le droit des dessins et modèles, accordée sous réserve de dépôt auprès d’un office de propriété industrielle – l’INPI, Institut national de la propriété industrielle, en France (lOHMI, au niveau communautaire), le droit d’auteur peut également s’appliquer à une création esthétique, sous réserve de remplir la condition d’originalité.

En France, il existe donc un cumul de protection, (que tous les pays ne reconnaissent pas) autrement connu sous le terme du principe de « l’unité de l’art » (1). Si la protection de l’apparence esthétique d’un objet par le droit d’auteur peut donc suffire, l’obtention d’un titre de dessin et modèle renforce cette protection, notamment au niveau communautaire.

Ainsi, en droit français, pour pouvoir être enregistré et valide, un dessin et modèle doit répondre à deux conditions : être nouveau et posséder un caractère propre (2) (au niveau communautaire, on parle de « caractère individuel »).

Un dessin et modèle est considéré comme :
 nouveau, si, à la date de son dépôt, aucun dessin et modèle identique n’a été divulgué. Ce critère permet donc d’écarter de la protection les copies serviles ;
 disposant d’un caractère propre, lorsque l’impression visuelle qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin et modèle divulgué avant la date de dépôt du titre. Ce critère permet donc de faire obstacle aux imitations, aux formes similaires, très ressemblantes ou trop fortement inspirées.

En matière de nouveauté, toute divulgation importe, y compris celle du créateur lui-même. Une divulgation du modèle par son créateur, préalablement au dépôt, aura donc vocation à détruire la nouveauté. Heureusement, celui-ci dispose de la faculté de réparer cette divulgation destructrice de nouveauté, en régularisant un dépôt, dans le délai d’un an après la divulgation.

Pour apprécier la validité du dessin et modèle au regard de son caractère propre, il convient donc de comparer le dessin ou modèle, objet de la protection, avec ceux appartenant à l’état de l’art antérieur ; travail qui peut s’avérer fastidieux et, en tout état de cause, relativement subjectif (il s’agit de déterminer si le dessin et modèle en cause produit, ou non, une impression globale différente, la démarquant des autres existants).

Si la création esthétique remplit ces deux critères de nouveauté et de caractère propre, elle est donc protégée par un titre qui lui octroie un monopole d’exploitation pendant une durée de cinq ans, renouvelable jusqu’à une durée totale de 25 ans.

Néanmoins, cette protection n’est pas définitivement acquise à l’enregistrement : elle pourra, à tout moment, être remise en question, par la voie de l’action en nullité, diligentée par un tiers. Tel a ainsi été le cas d’un modèle de sac déposé par YSL, dont la validité a été remise en question par H&M (Hennes & Mauritz), qui en a contesté le caractère individuel.

Sac porté main ou épaule, pour utilisatrice avertie

En 2006, la société YSL dépose auprès de l’OHMI deux dessins et modèles communautaires pour des sacs à main. En 2009, se basant sur un modèle antérieur, H&M présente devant l’OHMI deux demandes en nullité des modèles YSL, prétendant que ces derniers seraient dépourvus de caractère individuel. Pour H&M, les deux modèles d’YSL sont similaires à ceux qu’elle détient, ce qui a pour effet de les priver de leur caractère individuel, et donc entache leur validité. Le 8 juillet 2013, l’OHMI rejette les demandes de nullité formées par H&M, estimant que les modèles d’YSL disposaient d’un caractère individuel : bien que les modèles aient des caractéristiques communes, les différences, quant à la forme, à la structure et à la finition, superficielles jouent un rôle déterminant dans l’impression globale produite par les sacs. L’organisme a considéré que le degré de liberté du créateur était large, mais que, dans ce cas-ci, il n’effaçait pas, du point de vue de l’utilisatrice avertie, les importantes différences qui séparaient les sacs en question.

Contestant cette décision, H&M porte l’affaire devant le Tribunal de l’Union Européenne, qui, le 10 septembre dernier (3), a confirmé la position de l’OHMI, par deux arrêts particulièrement détaillés. Il a notamment, estimé que les différences entre les dessins ou modèles étaient importantes et donc « de nature à influencer sensiblement l’impression globale de l’utilisatrice avertie ». Pour le dessin ou modèle contesté, « l’impression produite serait celle d’un modèle de sac caractérisé par des lignes essentielles et une simplicité formelle », tandis que, dans le cas du dessin ou modèle antérieur, celle « d’un sac plus ’ouvragé’, caractérisé par des rondeurs et à la surface agrémentée de motifs ornementaux ». De plus, « les lanières et la poignée des dessins ou modèles en conflit se prêtent notoirement à des usages différents », a relevé le Tribunal : un sac à porter uniquement à la main pour le dessin ou modèle contesté, un sac à porter à l’épaule pour celui antérieur. Le Tribunal européen déboute ainsi H&M et confirme donc la validité des dessins et modèles enregistrés par YSL.

Si, en l’espèce, l’action diligentée par H&M n’a pas été fructueuse, il n’en demeure pas moins que, dans certaines hypothèses, ces actions prospèrent et que les modèles peuvent être annulés, et retomber ainsi dans le domaine public, à la portée de tout concurrent, avec le risque de créer un lourd préjudice à la société créatrice et protectrice de ses intérêts. L’importance de dépôts sécurisés, pour lesquels la disponibilité du modèle a bien été étudiée, apparaît donc essentielle.

(1) La théorie de l’unité de l’art a été consacrée en droit français par la loi du 14 juillet 1909 et en droit européen par la Directive CE du 13 octobre 1998
(2) Article 511-2 du Code de la propriété intellectuelle
(3) Aff. T-525/13 et T-526/13, H&M Hennes & Mauritz / OHMI – Yves Saint Laurent (Sacs à main)

Photo de Une : Modèle Yves Saint Laurent © DR

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