Jacques Médecin, du moins au début de son mandat, ne fut pas un « plus » pour l’Ecole.
Il l’ignorait superbement, et en premier ses artistes qui le lui rendaient bien. Parfois, il leur fut même très hostile, et avec lui la presse locale. Tout au plus avait-il consenti à accepter une exposition à la Galerie des Ponchettes pour « honorer » ceux qui s’étaient fait reconnaître au niveau international sous le label du « Nouveau Réalisme » (voir Chronique 21).
« Malgré l’hostilité des pouvoirs et des médias régionaux, un lieu de travail (L’école de Nice) a pu se constituer dont les finalités s’imposeront dans le monde et, souvent seront exemplaires » Jacques Lepage, Catalogue Nice à Berlin, DAAD Galerie, 1980
En 1975, les relations artistes de l’Ecole et la municipalité étaient même au plus mal ! Le pire était advenu ; le député-maire Jacques Médecin avait décidé de jumeler Nice avec la ville du Cap, en Afrique du Sud. On était alors en plein apartheid… Les artistes de l’Ecole de Nice réagirent aussitôt, une violente lettre ouverte fut envoyée au député-maire… Désormais toute collaboration avec la Ville devenait exclue !
Malgré cette franche hostilité, Jacques Médecin eut le flair ou l’insigth –il en eut quelques uns, il faut le lui reconnaître- de confier la « Direction des Beaux Arts de la Ville », comme on disait alors, à un certain Claude Fournet, déjà connu et reconnu dans le monde de l’Art. L’objectif n’était certes pas de s’occuper de l’Ecole ou de valoriser ses mouvements, il n’en était pas question ! Le projet du député-maire était plus pragmatique : redresser la situation désastreuse des Musées à Nice… Tout allait de volo. Les expositions étaient un ramassis de tous les styles, les Collections n’étaient même pas classées et les services désorganisés !..
Ses premières taches furent ainsi de s’occuper du Musée des Beaux-art Jules Chéret, de rendre le Palais Masséna à sa vocation première, l’Histoire du Comté de Nice, etc.. Il s’occupa même du Palais Lascaris, dans le Vieux-Nice, nouvellement venu dans les Musées niçois et de la Bibliothèque de Cessole et de son fond provençal.
Il se trouve cependant que ce Directeur, en plus de ses brillantes qualités d’organisateur, était un esthète, et en particulier… un amoureux de l’art contemporain.
Tant bien que mal, il va tenter inlassablement et par petits pas d’introduire cette dimension dans la culture de nos édiles. Ses premières propositions furent la création d’une « bibliothèque et d’un Centre d’art contemporain et sur l’Ecole de Nice » et la mise sur pied d’une équipe d’animateurs culturels, formés également à l’Art contemporain.
« Avec l’accord du Député-maire (Jacques Médecin) et des Adjoints au Beaux-Arts qui se sont donnés à leurs tâches avec une foi et une compétence auxquelles il est fondamental de rendre hommage, il fut décidé que l’animation culturelle, à travers des expositions d’art contemporain, tenterait de pallier un long handicap d’inertie. Trois niveaux pouvaient être dés lors pris en considération :
– 1/ l’implantation de nouvelle infrastructure permettant tout simplement l’accès culturel à de nouvelles formes d’expression,
– 2/ la nécessité que la presque totalité des artistes ayant vécus ou créés à Nice (et y vivant encore), des plus jeunes aux plus reconnus, soient présentés à leurs concitoyens,
– 3/ enfin, que l’ensemble de ces manifestations débouche le plus vite sur une possibilité d’institutionnalisante qui passerait à la fois par un Musée d’art moderne et une politique d’acquisition adéquates »
– Claude Fournet, Catalogue 10 ans de Musée de Nice, Acquisitions 1972-1982, Espace Niçois d’Art et de Culture, 1982
Certes aucun obstacle ne lui fut épargné, mais Claude Fournet sut avec tact chaque fois les contourner. Très seul au début, il sut s’entourer pour réorganiser la Galerie des Ponchettes, faire de la galerie de la Marine une galerie d’art contemporain qu’il baptisa « Gac » et réaliser une politique d’acquisition d’œuvres, y compris de l’Ecole de Nice.
L’Ecole de Nice commençait enfin à être reconnue dans sa ville ! Bien sûr, les Nouveaux Réalistes niçois (Klein, Arman et Raysse et César) étaient toujours privilégiés .
C’est avec une rétrospective César qu’un espace dédié à l’Art - l’Espace Niçois d’Art et de Culture - fut inauguré en 1982, au complexe commercial Nice Etoile sur l’Avenue Jean Médecin.
Chaque fois, Claude Fournet avait su convaincre Jacques Médecin ; et les budgets nécessaires suivirent sans trop de problème . Il est vrai que par son activité inlassable, son service et lui-même avaient pu obtenir une certaine notoriété nationale et internationale.
« Cela n’a pas été sans mal, on s’en doute. (…) je n’irai pas jusqu’à écrire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il m’arrive de me réveiller la nuit pour crier à la profonde injustice de ce monde ! Cependant nous avons pu travailler (…) bref travailler, travailler encore en ralliant les indifférents, les moqueurs et de temps en temps, les esthètes et les pisses-froid."
– Claude Fournet, Catalogue 10 ans de Musée de Nice, Acquisitions 1972-1982, Espace Niçois d’Art et de Culture, 1982
En 1982, ne lui rester plus qu’à mettre en place le plat de résistance, « l’Arlésienne » ou « l’Auberge espagnole » comme il avait fini par être nommé : « le musée d’Art moderne », une autre saga niçoise !..
(suite à la prochaine Chronique)
1- Pour en savoir plus : A. Biancheri et A. Giordan, Les Nouveaux Réalistes, Ovadia, 2011
2 - Les problèmes et les blocages étaient ailleurs. Claude Fournet dut bousculer bien d’habitudes et de territoires dans les milieux de l’administration culturelle niçoise ! Par ailleurs, la bourgeoisie locale –noyau dur de la politique de jacques Médecin- était loin d’être acquise à l’Art contemporain.
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