CHRONIQUE : L’École de Nice - Chronique 1- - Par André Giordan & Alain Biancheri - Chronique bimensuelle
Difficile de se faire une idée de ce que fut l’École de Nice, si on a assisté à la vente aux enchères qui s’est déroulée à Nice le 31 octobre 2009… On y trouvait des œuvres de Supports-Surfaces encadrées ! On y rencontrait un Pinoncelli, un « artiste comportementaliste » en habit d’homme d’affaires… On y côtoyait nombre de tirages réalisés 10 ans, 30 ans après la mort de l’artiste !.. Et bien plus sophistiqués que l’original, comme s’il fallait revenir aux implicites reconnus du « Beau » !.. Le tout était orchestré sur fond de mythes et de légendes, quitte à réinventer totalement l’Histoire. Tout le contraire de ce que fut la réalité et l’apport de l’École de Nice.
Pourtant peut-on dire qu’une « École de Nice » a existé en chair et en os ? Sûrement pas !
Du moins au sens habituel… On a beau fouillé dans toutes les archives disponibles, nulle part on ne trouve le moindre indice de mur d’école. Pas de programme, point de grands maîtres à l’origine. Aucun manifeste contrairement au Nouveau réalisme ; même pas de travail en commun comme pour certains artistes de l’Abstraction ou de la Figuration. Certains ont bien tenté de faire des « cartes d’adhésion », mais sans grand succès. Tout au plus, peut-on noter quelques amitiés entre artistes, quelques rencontres dans des lieux de Nice, le plus souvent dans les bistrots à la mode. Toutefois rien de fort défini, de bien suivi…
Et pourtant l’École de Nice existe bel et bien !
Des artistes s’en réclament, d’autres la dénoncent pour s’y rattacher ensuite. Des expositions successives à Nice, à Saint Paul de Vence, au Centre Pompidou en portent la marque (non déposée). Le Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain MAMAC possède un étage École de Nice, des présentations dans les musées à l’étranger sont en préparation. Alors que trouver comme centre de gravité entre les divers protagonistes ? Quel lien, ou même quelle filiation peut-on attester, entre le bleu et le vide de Klein, les cages à mouche et les ombres de Jean Mas, les écritures et le Théâtre Total de Ben, les arcs minimalistes de Bernar Venet, l’aliment blanc et les paillettes de Malaval, les tissages et les patchworks d’Alocco ou encore Niki de St Phalle, et ses peintures aux lance-flammes, et ses nanas ? Aucun !
Et qu’en est-il des proximités entre les compressions de César, les accumulations d’Arman, les madones de Prisunic de Martial Raysse. Peut-on les mettre en lien avec les oblitérations néoclassiques de Sosno, les assemblages géométriques TGF (très grand format) de Jean-Claude Farhi, les coulées et traces d’escargots de Gilli, les tentatives de sortie du tableau de Noël Dolla, le langage coloré de Chubac ou de Nivèse ou l’univers pseudo-narcissique d’un Moya devenu multimédia … pour ne citer que quelques-uns des artistes les plus connus. Le tout à travers un cadre, le plus souvent hors du cadre avec Viallat et la mouvance Supports-Surfaces, avec des restes de repas, des femmes ou des escargots-pinceau, un « attentat culturel », des panneaux « À vendre », des collages, des déchirements, des extensions, du numérique, du cinétique, des tissus, des tissages. Que sais-je encore ?
Si ce n’est un beau et vrai bric à brac comme on les aime à Nice.
Même les limites de cette École n’ont jamais été fixées.
D’ailleurs comment auraient-elles pu l’être ? Point d’institutions, encore moins d’Académie, pas de critiques d’Art attitrés. Le célèbre Restany auquel on fait appel parfois n’en fut jamais le laudateur. Bien au contraire ! Ses critiques sur l’École furent toujours acerbes. Tout juste quelques autoproclamés se sont bien hasardés, à plusieurs reprises, à proclamer une liste dite « officielle ». D’autres le tentent encore, en prenant telle ou telle exposition comme référence, notamment les rétrospectives décennales de la galerie Alexandre de la Salle à Saint Paul de Vence. Heureusement, ils n’ont toujours pas été suivis ou… si peu ! C’est n’avoir rien compris à la dynamique de l’École de Nice que de continuer à le tenter.
Ce qui est certain est que l’on rencontre à la fin des années cinquante, et cela s’est inlassablement poursuivi jusqu’aux années 90, un « climat de création » inédit à Nice et autour de Nice, à partir d’artistes nés à Nice ou habitant Nice. Une sorte de foyer de culture inédit s’est lentement constitué par couches successives. Ce que l’un d’entre eux, Jean Mas, l’un des plus créatifs et des plus militants, décrit de la façon suivante : « Dans les années 60, la région niçoise a favorisé l’émergence de mouvements contemporains, renouvelant et assurant ainsi une vie créative intense. »
Jean Mas, Mamac , 2005
Tous à leur manière propre n’ont recherché qu’une chose : l’intensité d’une expression. Pour y parvenir, tout pouvait être consommé : les objets, des textes, des compressions, des expansions, les emballages. Le corps, les escargots pouvaient devenir pinceaux, tout autant que les déchets de fabriques, les plaques d’or tout autant que les poubelles, etc. Que ne se sont-ils pas appropriés ? Y compris le lance-flamme, le tir à la carabine ou l’escalade de la face Nord d’un théâtre !
L’École de Nice n’est pas tout ce qui s’est fait à Nice en matière de peinture ou de sculpture, du moins si cette distinction peut avoir encore un sens en art contemporain. Nombre de peintres figuratifs, naïfs, post-impressionnistes, post-cubistes, post-surréalistes, ou même participant de l’art concret, n’entrent pas dans ce supposé Label. L’« œuvre » des artistes de l’École de Nice doit inévitablement s’inscrire dans une problématique contemporaine. Enfants de Malevitch et de son carré noir sur fond noir et de Duchamp et de ses « ready-made », leur recherche doit conduire directement à « déconstruire » ce qui existe dans les arts reconnus pour faire exister autrement ou autre chose.
Armand Fernandez, né à Nice en 1928, a fait ses études aux arts décoratifs de cette ville en 1946, puis à Paris. Ses premières recherches passent par les empreintes, les allures d’objets : c’est la répétition d’un motif sur une surface donnée, avec la première exposition des « cachets » au grand Hôtel de Nice en 1955. Le travail sur l’accumulation apparaît ainsi, et va s’étendre dans l’appropriation de la réalité, leur détournement, et leur présentation en tant qu’œuvre d’art.
Description/Interprétation
Cette œuvre s’inscrit dans les « coupes » et « colères », puisqu’elle traduit à la fois les multiples brisures des objets, et leurs destructions liées à un acte colérique comme le suggèrent les déboitements rageurs ou les désarticulations qui ôtent toute possibilité musicale aux instruments. L’action de l’artiste se révèle à travers les raccords maladroitement agencés ou l’éparpillement de certains éléments qui perdent leur fonction initiale. Mais au delà de ces pratiques chères à l’artiste qui pourraient relever d’un acte de vandalisme, une nouvelle phase donne à voir la reconstruction de ces violons, leur accumulation érigée en sculpture - ou plutôt en installation – et la notion d’œuvre d’art intervient avec tout ce qu’elle peut évoquer comme connotation poétique ou émotive. Si la métaphore du corps féminin peut être évoquée par les formes des violons (on pense à la photo du Violon d’Ingres de Man Ray ou à certains Violons de Picasso), d’autre interprétations au niveau musical peuvent se superposer.
Morphologie
La structure pyramidale de l’ensemble donne une véritable cohérence à cet amoncellement hétéroclite. Mais l’unité ne se résume pas uniquement à la silhouette extérieure : les directions, la verticalité confèrent un élan très dynamique aux formes ascendantes.
Il est vrai que l’élancement vers le haut des manches et des chevalets favorise la rêverie ou du moins contribue à l’évocation d’une mélodie qui nous transcenderait par une élévation au dessus de la banalité du quotidien. D’autant plus que dans la partie supérieure les volutes se détachent sur le ciel comme les acrotères des temples grecs en accentuant la prégnance de leur dessin ; leurs courbes sont reprises en écho par les multiples ouïes qui rythment les différents niveaux et animent les surfaces des violons par des jeux de graphismes répétitifs.
Répétition ne veut pas dire simplement monotonie : aux inversions de courbes et contre-courbes s’ajoutent les décalages de plans, les inclinaisons des axes médians et les pivotements des caisses de résonnance. Autant d’éléments plastiques qui se réfèrent aux pratiques cubistes que Braque et Picasso pouvaient utiliser dans la période où ils travaillaient en « cordée ». Les dislocations de formes, chez ces artistes se retrouvaient autant dans les instruments de musique que dans les éléments à peine identifiables de la composition, alors qu’Arman minimise l’effet destructeur de ses colères pour maintenir l’identification du violon, et jouer surtout sur les rapports formels.
Chromatisme
L’appauvrissement chromatique renvoie aussi aux camaïeux cubistes, et la sobriété des ocres et terres de sienne n’est là que pour exalter la pureté des formes. Mais ceci n’est qu’apparent, car la richesse colorée possède d’autres sources et ressources ; les variations de couleur proviennent surtout de la patine du bronze en créant de subtils dégradés et des modulations de surfaces comme les affectionnait Cézanne.
Au delà de l’action et de la colère, c’est la naissance de l’ « harmonie » qui s’impose : pour rester dans le vocabulaire musical, les accords vont au delà du geste destructeur pour restituer une musicalité formelle.
Les auteurs de la chronique :
André Giordan est physiologiste et épistémologue. Professeur à l’université de Genève, il dirige le célèbre Laboratoire de Didactique et Epistémologie. Niçois de longue souche, il tente de faire connaître et apprécier Nice et sa culture à l’étranger. Il a co-écrit entre autres l’Ecole de Nice ; ainsi que différents livres sur la culture et les artistes niçois.
Alain Biancheri est professeur d’Arts plastiques. Critique d’Art, il est recherché pour ses conférences et ses visites de musées et d’expositions. Ses livres sur l’Art contemporain d’une part, sur l’Ecole de Nice d’autre part font références. Par ailleurs, il mène une carrière atypique de Peintre sur l’Art.
La photographe :
Séverine Giordan est photographe et philosophe. Ingénieur culturel au Consortium à Dijon et à l’université de Bourgogne, elle travaille sur les archives d’expositions pour monter des expositions virtuelles d’Art contemporain.
Pour en savoir plus
Alain Biancheri et André Giordan (2007), L’école de Nice ; Collection Giordan-Biancheri, Ovadia Editeur, Nice.