« Ce que je souhaite exprimer, c’est une idée : la représentation des attitudes et de ses expressions préférées chez la femme… Je sculpte sans modèle, je travaille seulement d’après des souvenirs. Chaque sculpture doit traduire une expression avec peu d’éléments, surtout pour les choses essentielles : par exemple, voir le regard en gommant les yeux ».
Jean-Philippe Richard | SIAC Marseille 2017
Du jardin d’Eden au Jardin des délices de Jérôme Bosch, en passant par les jardins de Lenôtre ou plus près de nous ceux de Gilles Clément, mais aussi le développement du Land ’art dans les années 70, ou encore le Jardin des Tarots en Toscane de Nicky de St Phalle, le jardin participe depuis toujours à une quête existentielle : celle du paradis. Patrimoine naturel, historique, artistique, et social, le jardin a traversé l’histoire de l’art.
Façonnés par l’homme, les jardins sont le miroir du monde et rendent compte de notre rapport et de notre manière de penser la nature.
Invitation au voyage, à la méditation, au songe, nombreux sont les artistes à rêver de ce mélange de la nature et de l’artifice. Par essence éphémère, l’oeuvre artistique immortalise ces jardins, conçus initialement pour durer, mais à qui les saisons font subir l’infini jeu de la vie et de la mort.
Jean-Philippe Richard est de ces artistes dont les sculptures sont imaginées pour les jardins, les espaces publics, loin du confinement des espaces clos.
Le coeur de son travail s’articule autour du modelage de la terre avec comme sujet quasi-exclusif : la femme, tout simplement la femme.
Apsara moderne, elles en ont la beauté, le sourire et la sérénité. Tels des roseaux agiles et souples, elles semblent jaillir de la terre. Certaines, comme inachevées, ont les pieds encore sertis dans un bloc de terre brut.
Libre de tout mouvement artistique, Jean-Philippe Richard se crée une famille à travers ses figures de femmes idéalisées dont il pousse la personnalisation jusqu’à leur donner un nom.
Installées dans des jardins merveilleux, le plus souvent groupées, elles sont de véritables Eve qui auraient définitivement éliminé un Adam importun.
Mais sont-elles aussi fragiles qu’elles le paraissent ? Sous leur aspect gracile, semblant indifférentes au reste du monde, se dégage une force tranquille que rien ne parait pouvoir ébranler et certainement pas le temps qui n’a aucune prise sur elles. C’est aussi en cela, que réside leur intemporalité.
Jean-Philippe Richard les essaime dans le monde entier, de Shangaï à Bastia, mais aussi en Belgique, aux Etats-Unis ou encore en Suisse… comme des traces qu’il laisserait derrière lui.
Témoins de ses passages, en les abandonnant derrière lui, ses sculptures lui offrent une forme d’ubiquité.
En 2004, l’artiste les enracine dans le Jardin Exotique d’Eze où un dialogue
s’installera tout naturellement entre elles et la nature.
Désormais indissociables du lieu, elles en sont devenues l’âme, leur présence se fondant dans le paysage, elles participent à la découverte du parc, incitant à la flânerie et à la méditation. Cette année, l’artiste en installera trois nouvelles dans le jardin et fera don de l’ensemble à la municipalité d’Eze.
Créé en 1949 sur les ruines des remparts d’une forteresse médiévale, le jardin initialement consacré aux plantes exotiques est devenu, avec entre autres, l’installation des sculptures de Jean-Philippe Richard, un Jardin à Vivre, où le visiteur est invité à se détendre, à rêver, à s’évader.
La nature est un temple : Eze
Voilà quinze ans, Jean-Philippe Richard pensa à une oeuvre totale et proposa à la municipalité d’Eze, qui réorganisait alors le Jardin, d’installer ses pièces parmi les végétaux.
Par étapes successives, la petite troupe augmenta et, aujourd’hui, dix-sept sculpture habitent le Jardin. Pour le quinzième anniversaire de leur présence, il ajoutera au sommet du Jardin, près des restes d’un belvédère antique, trois nouvelles sculptures, cette fois en bronze.
Pour Jean-Philippe Richard, la question primordiale de la présence de ces pièces réside dans leur relation au paysage. Elles ont toutes été placées dans un souci parcimonieux de donner la parole à la nature, au ciel et à la mer. Manon semble avoir le regard perdu au loin : attend-elle Isis, cette déesse égyptienne qui a donné son nom au site ? Mélisandre, elle, a le regard plongé sur un cactus qui paraît tendu ; elle semble pourtant sereine. Il est étonnant de voir comme ces pièces sont douces, tandis qu’elles cherchent l’accord de ces plantes exotiques, somptueusement vénéneuses. Pour autant qu’on voudrait caresser les sculptures, on ne peut s’approcher des plantes, tant elles nous semblent hostiles. Pourtant, ce sont elles les vivantes. Ici, l’art et le vivant s’épousent en captivant le regard ; on ne peut cesser de s’interroger sur le mystère qui se tient là, comme si Jean-Philippe Richard nous permettait par son art d’être au seuil des réflexions les plus essentielles.
Récemment, la mairie a persévéré dans ses efforts pour rendre le jardin magnifique, avec un résultat plus que probant puisque, l’année dernière, presque 200 000 visiteurs ont découvert le site. Ces transformations ont été faites en grande intelligence avec les pièces de Jean-Philippe Richard ; l’osmose en est pleinement accomplie.
Au siècle des Lumières, le jardin était un lieu où, loin de la cour, on repensait le monde. Ici aussi, le jardin est philosophique ; il invite le spectateur à jouir de l’espace et des beautés du monde, à réfléchir sur lui-même et sur sa destinée. Rose et Céline, compagnes silencieuses, sont auprès du visiteur des complices métaphysiques.