Difficile d’être prophète en son pays.
Le coronavirus en fournit une illustration surprenante avec le Musée d’Art Naïf de Nice qui a fermé ses portes juste après le vernissage de l’exposition "A Tribute to the Douanier Rousseau" ce vendredi 13 mars, à l’issue d’une soirée lors de laquelle Jean Mas nous enjoignait très opportunément "de marcher à l’ombre". L’expression popularisée par le film de Michel Blanc et la chanson de Renaud réoccupe les devants de la scène, même si pendant un temps indéterminé nous ne pouvons plus fréquenter les musées...
Pour ce rendez-vous niçois, Jean Mas avait convoqué son petit théâtre d’ombres, une série ancienne qu’il dit avoir exhumée "en rangeant sa cave". Elle est composée d’une douzaine de délicats tableaux d’ombres de fleurs mouvantes parmi lesquels figure celle du Douanier Rousseau, motif de la présence du plasticien niçois dans ce musée, s’il en fallait un...
Certifié par l’empereur Hirohito !
L’ombre c’est ce qui nous appartient en propre. Jean Mas avait peint, on ne sait trop comment, celle d’Henri Rousseau avec son chapeau à larges bords. Ce tableau fit l’ouverture du catalogue raisonné de l’artiste naïf, une biographie signée d’Henri Certigny qui avait été validée par… l’empereur
Hirohito. Quelques célèbres "cages à mouches" ajoutées à ses dessins, peintures et collages en relief cadraient bien dans le lieu comme objets d’art brut, ou singuliers.
Le musée d’Art Naïf a déjà ouvert ses portes à des artistes contemporains. Il continuera à le faire, et ce sera une occasion supplémentaire de soulever l’intérêt des niçois envers les œuvres des plus célèbres peintres du genre, dont Anatole Jakovsky avait fait la collection. Les musées d’art brut et d’art naïf ne sont pas si nombreux en France. Sur la
colline de Fabron, ce château rose entouré d’un parc peuplé de ses singulières grandes statues est une étape aussi indispensable que mal connue des... Niçois eux-mêmes.
Vraiment nul aux municipales...
Lors de cette soirée de vernissage, nous avons vu Jean Mas en pleine forme, disert, casquette vissée sur la tête, juché sur un escabeau, déclamer sous les vénérables plafonds du château Sainte Hélène. Il s’est livré à une étonnante série de réflexions sur l’ombre en général et sur les ombres en
particulier, s’attardant sur celles de la caverne de Platon, du cheval d’Alexandre le Grand et de... Jolly Jumper, le fier destrier de Lucky Luke. Poursuivant dans sa logique il rappelle avoir photographié dans le passé des ombres de tous les artistes de l’École de Nice. Ainsi que celle de Jacques Toubon, alors ministre de la culture, se disant qu’avec lui "cela
devait être tout bon" pour en faire des cartes postales. Rappelons que Jean Mas a sorti... de l’ombre le village de Bonson en créant le Festival du Peu.
Nous assistions donc alors à une de ces nombreuses "Performas", consacrées douzième art, qu’il a cultivées tout au long de sa carrière. Parmi les brillants faits d’armes qu’il a rappelés, son "succès total" aux élections municipales de Nice en 1994 à l’occasion de laquelle il avait atteint son objectif de 0% de voix.
On compare Jean Mas à Buster Keaton parce qu’il ne sourit jamais sur scène.
Il a le don du one man show et ses déclamations philosophico-divertissantes sont à la fois pertinentes et impertinentes. Sous ses dehors d’humoriste à la Raymond Devos, le créateur du Festival de lancers de noyaux d’olives, est un écrivain et un penseur.
L’exposition est prévue jusqu’au 6 avril. Si d’ici là le Covid 19 veut bien nous laisser sortir... En tout cas, même fermée, elle nous aura permis de parler de cet artiste attachant et si singulier.