Avec Jean Mas, j’en ai vu et entendu bien d’autres, et, sur des mots clopin clopant, je le salue amicalement, pour qu’il remette sa casquette à ... l’endroit ! Vers l’avant... Car tu ne seras jamais un errant toi qui as fait souche dans les mots. J’avais moi-même, entre autres, fait un sort au « P » de Jean Mas, l’une de ses nombreuses signatures, et sous le titre : « Excusez-moi du peu ! » : « Ce n’est pas que small soit beautiful c’est que fall est au principe, c’est ainsi que folle devient parfois la représentation du monde, et surtout la douleur qui en découle, qui en coule car fall dit la cascade du taoïste, et rien dit Jean Mas avec ses cages à mouches, et demande intransitive sur le fond de la grotte dit il aussi avec ses ombres, demande et réponses inversées, et qui, d’ailleurs, c’est pire, versent dans le rien, le peuffff… A peu près, près du peu il nous met, nous mène, dans les banlieues du p, de papa, pas pas, pas du tout, pas à pas vers tout mais rien, tous mes riens, mes peu(rs) de l’errance... « Small is beautiful » de E.F. Schumacher/Une société à la mesure de l’homme », nous offrait un extrait de Kierkegaard : « Comme on enfonce son doigt dans la terre pour reconnaître le pays où l’on est, de même je tâte le monde : il n’a odeur de rien. Où suis je ? Qu’est ce que cela veut dire : le monde ? Que signifie ce mot ? A quel titre suis je intéressé dans cette entreprise qu’on appelle la réalité ? Pourquoi faut il que j’y sois intéressé ? Où est le directeur, que je lui fasse une observation ? A qui dois je adresser ma plainte ? » Et : « L’idolâtrie du gigantisme est peut être l’une des cause de la technologie moderne, entre autres un système de transports et de communications très perfectionné qui possède un effet extrêmement puissant : celui de couper les hommes de leurs attaches, de les transformer en errants... »
Introduction au discours sur le peu de réalité disait Breton. Mas développe. Il récupère le résidu de l’image, c’est à dire la lettre. Et réintroduit l’image dans la lettre. C’est son introduction à lui, qui glisse sans cesse un paquet de dynamite dans le tissu des représentations, c’est sa plastique à lui. Dans le p de l’enfant (peu, deu, feu, jeu, keu, leu, neu, veu…déclinaison des premiers vagissements de la parole selon le terme du plus surréaliste des psychiatres, Jacques Lacan…) revient le monde en décollages…Technique limite, le collage, dont il est dit aussi (par le poète Petr Kral) qu’il a une valeur démystifiante et critique. » C’est que Jean Mas est là comme l’empêcheur de tourner en rond, lui qui sait si bien le faire de manière provocante, c’est-à-dire à la manière de Raymond Devos, tous les arcanes du cercle vicieux de la parole, et quand je dis « parole » c’est bien sûr pour dire qu’ils ne sont jamais dans la platitude du langage. Comme les enfants, qui vont, on le sait, droit au but : ainsi de cette séance de bulles de savon (1981), Nice : Projet : faire fonctionner dans le champ de l’art cette pratique enfantine, ou l’art de buller.
– Qu’est-ce que tu fais ?
– Des bulles !
A) Force de buller, besoin de matérialiser dans le champ artistique l’esprit de la bulle de savon
B ) Le fait de ne rien faire, de buller, quand on fait une bulle de savon, nous savons la bulle, savoir sur la bulle
C) Savoir bulle = savoir rien faire
D) Trace du rien
E) Eclatement pas mal, éclatement de la bulle financière
Ce chapitre 6 était accompagné d’un extrait du film vidéo de la Performas au CIAC le 24 mars 2007 autour de l’exposition « Beau comme un symptôme », et pour les « Samedis de Carros ». Performas exceptionnelle de Jean Mas : « Le premier français » prendra « La parole qui ne partira pas en fumée », à la suite de l’intervention de Daniel Cassini sur Lautréamont.
La crèche de l’Ecole de Nice qui part en fumée…
Mais un autre chapitre engrangé sur Art Côte d’Azur est consacré à Jean, le chapitre 10, car c’est lui qui, à l’issue de l’exposition « 50 ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif de Vence avait, en faisant flamber sa « Crèche de l’Ecole de Nice », dissout ladite école en un acte rituel qu’Alexandre de la Salle avait voulu dans la lignée de celle accomplie par Pierre Restany et ses complices (Dissolution du Nouveau Réalisme) à Milan en 1970.
La chose a eu lieu le samedi 4 décembre 2010 à 10h30 à coups de déclarations des artistes sur le thème, et d’une action flambante de Jean Mas sur sa « Crèche… » fabriquée en 2004, dans laquelle il avait installé un certain nombre de personnages du « monde de l’Ecole de Nice ». Monde varié et ludique composé comme il se doit d’humains, d’animaux, objets associés sur le mode polysémique qui lui est cher. Oui, « L’Ecole de Nice » va flamber, gicler, être lacérée, finir à la poubelle (comme le Nouveau Réalisme à Milan dans la description qu’en a faite Danièle Giraudy), par les bons soins de Jean Mas, fondateur du « Label Ecole de Nice », et grand metteur en scène de la vie et de la mémoire des choses, grand spécialiste de leur mise en mots feudartificente emballée par leur sens lui-même, et avec laquelle il joue en virtuose, comme en boucle, comme en bulle. Sa « Crèche de l’Ecole de Nice » va partir en fumée, œuvre inaugurée le trois janvier 2004 à la Galerie Matarasso, crèche que Paul Barelli intitula « crèche philosophique » lorsqu’il la vit exposée à l’Hôtel Windsor. A la place de Jésus, un livre blanc, à la place du bœuf et de l’âne, une autruche (dont les plumes, chacun sait, ont contribué à la confection de multiples chasse-mouches ! Freud est présent, ainsi qu’Alexandre de la Salle, Ben avec son panneau, la Ligne indéterminée de Bernar Venet, et l’Homme de Pierre de Max Cartier, et des bouteilles de vin de Bellet etc. Saluant en mai 2010 de « Performas, 40 ans d’Art d’Attitude » d’Alain Amiel aux Editions Ovadia, Nicole Laffont titrait : « Jean Mas, agitateur d’idées depuis 40 ans ». Nicole Laffont dit très justement que Jean Mas est producteur d’idées neuves et de spectacles détonants, et qu’avec lui l’histoire des idées se fait chaque jour avec un brin de folie ».
Dans le clip accompagnant ce texte et donnant un extrait d’une Performas au Mamac d’octobre 1994, le Docteur Jean Amiel qui présentait Jean Mas mentionna que celui-ci partait pour Paris afin de participer à une émission de Christophe Dechavanne, où nous aurions le plaisir de les voir arriver, lui et Dechavanne, habillés en mouche dans une cage gigantesque. Souvenir inoubliable, car signifiant que l’humour, la dérision philosophique - un délire pansémiotique habité d’échos dont on sait à chaque fois qu’ils viennent toucher à des zones très sensibles de l’être humain face à la mort, avec sa seule solution métaphysique : le rire - peuvent être contagieux et procurer au citoyen, de temps en temps, d’épiques moments dignes de Zouc, Raymond Devos, Jacques Tati, Laurel et Hardy, et quelques autres bienfaiteurs de l’Humanité. Dans le livre d’Alain Amiel, à peu près toutes les performances de Jean Mas sont répertoriées, et avec en exergue cette phrase de Pierre Restany sur Jean : « Par les différentes facettes de son œuvre, l’artiste apparaît d’une certaine manière comme synthétisant l’esprit de l’Ecole de Nice ». Jean Mas en reprendra des bribes dans le catalogue de l’exposition « 50 ans de l’Ecole de Nice » au MuséeRétif. Voici son texte :
« Chère France, cher Alexandre, cette lettre pour une meilleure vision : mise au point pour une optique. Si le critique Pierre Restany a pu dire sur ma démarche qu’elle : « … synthétise l’esprit de l’école de Nice… » c’est effectivement que d’une certaine manière (celle de la réflexion) et matière (celle de notre art), mon parcours est traversé, fécondé par ceux qui alimentent la pratique des différents acteurs. Les changements d’optique ont joué sur la « mise au point » de mon travail, j’en suis venu à me servir du « poing » pour, dans mes performances, interpeller le public et titiller mes pairs par la référence constante à la cage à mouches.
Bon ! soyons plus clair : dès mes premiers contacts, des textes d’un large éventail parcourent la métaphysique et l’expression Bachelardienne. Un temps, je navigue dans une spiritualité teintée d’un Orientalisme que je découvre par la pratique d’arts martiaux et de nombreuses lectures. Après l’effervescence de l’objet et de l’indicible de l’Etre, s’ouvre à moi le champ de Support-Surface, Groupe 70… L’esprit redevient le plus haut point de la matière, le matérialisme dialectique transpire et guide notre rapport à l’histoire, à nos pratiques, de là mes premières vapeurs de colle (les colles de Nice !). Bien sûr, dans l’alliance théorie/pratique le questionnement du sens me harcèle (art scelle) par un « pourquoi ? ». La digestion s’opère en évacuant l’un (art selle), tout en optant pour une monture d’un « comment ? ». Nonobstant la question du sens (pourquoi) s’impose le comment. Un comment qui prend place avec l’étendue (l’Etant dû) à la psychanalyse, c’est-à-dire la place du sujet de l’inconscient ! Rien que ça ! Et là je m’amuse comme un fou à jouer, jongler, avec les concepts de cette discipline (comme matière). Que disent-ils, qu’écrivent-ils ceux de cette école pour qui l’art est aussi un problème, un fait philosophique, psychanalytique, voire économique ? Une nouvelle partie s’engage… Et moi dans tout ça, je prends, je gère, digère, je fais, défais des faits et d’effets qui m’habillent, je babille en alimentant ainsi la Cause de l’école ! Cause de l’école, causeries qui l’assurent d’être par ses diverses tendances, de souffler encore un savoir donné par une syncope [1] lettre c que je prends à l’école, ce « c » du savoir (sait) me laisse éole. Porté par le vent de notre histoire nous assurons le mouvement d’une pensée en œuvre par un ancrage et encrage qui contribuent à faire de notre art un point du centre du monde ! Recevez, chère France, cher Alexandre, toute mon amitié et mon soutien pour ce catalogue. Jean Mas
A suivre...