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CHAPITRE 66 (PART V) : Jean Brandy « Aux lumières de l’Olympe »

Encore un témoignage sur Jean Brandy aux débuts de « l’Ecole de Nice » : celui de Claude Gilli :

Mon premier contact avec l’art a été la peur. Inscrit jeune aux Arts Décoratifs à Nice en 1955, je découvrais tout un monde différent de liberté, de décontraction, d’ouverture d’esprit, mais aussi d’appréhension : forcé de raser les murs, de me dissimuler à la vue des anciens qui arpentaient les couloirs de l’école en quête des nouveaux pour les bizuter. Heureusement ce temps ne dura pas. Je devins très vite ami des deux meneurs, Jean Brandy et Jean Roualdès. Je leur dois mes premières visions d’une peinture non conventionnelle et d’une recherche peu académique de la nature morte. Presque cinquante ans après, ces souvenirs de jeunesse et cette effervescence, prélude à l’action, sont toujours enracinés dans ma mémoire. (Claude Gilli)

Et celui d’André Verdet :

Le peintre Jean Brandy a disparu trop tôt du firmament des arts. Artiste d’une grande probité picturale, il a contribué à élargir la technique de la peinture sur sable qu’il a notamment employée pour la suite de ses poétiques Mythologies, qui ont été, à les revoir, sa source d’inspiration la plus vivifiante. Je n’oublierai pas ses recherches approfondies dans la série des Empreintes fossiles en lesquelles il faisait s’incarner une faune disparue dans les strates des terres et des mers. J’ajouterai que celui qui fut un ami avait le secret de certaines couleurs magnifiquement ajustées dans le rapport de leurs valeurs. (André Verdet)

Zeus

Aux lumières de l’Olympe

Reconnaissance du talent, et amitié, reconnaissance de la gentillesse… les témoignages ci-dessus sont bouleversants… et situent bien Jean Brandy dans cette période effervescente qui restera à jamais une part du patrimoine des Alpes-Maritimes.
Pour en venir à aujourd’hui à cette exposition de Tourrettes, « Mythologie », très ciblée puisqu’elle se focalise sur la collaboration « à deux têtes » (comme l’aigle de Cocteau ?) de Jean Brandy et Yves Séméria, que Georges Nuyssen, philosophe et essayiste présente sous le titre « Aux lumières de l’Olympe » :
Peintre méditerranéen dans l’esprit et dans le style, soutenu à ses débuts par Jean Cocteau, Jean Brandy (1934 1995) ne pouvait qu’être à l’aise en interprétant les mythes du monde gréco latin. La passion pour les récits légendaires de la Grèce antique inscrits dans les vers d’Homère ou d’Hésiode infuse de manière transversale dans son œuvre, quelles que soient les techniques employées. Cette série sur la mythologie, prolongeant et renouvelant la manière de l’artiste alors encouragé par des amis philosophes et hellénistes, date de la première moitié des années 1970.
Les mythes, porteurs à la fois de sagesse et de culture, fascinent les hommes en ce qu’ils sont le récit de leurs origines. Comprendre comment les choses ont commencé permet de savoir ce qu’elles signifient maintenant et quel futur elles peuvent offrir. Si leur fréquentation permet d’éclairer notre monde contemporain, il est intéressant en retour de les lire ou de les décrypter par le regard de penseurs et d’artistes d’aujourd’hui, dans leurs tentatives d’exorciser le mythe par l’art comme par la raison, car la mythologie exprime, peut être, des choses qui ne peuvent pas être dites autrement. Ainsi, les aphorismes subtilement distanciés composés par le philosophe Yves Séméria et les œuvres de Jean Brandy qu’ils accompagnent invitent à ce double mouvement de réflexion. Les dieux de la mythologie antique sont plus que jamais à l’échelle humaine : par eux l’on devine puis l’on apprend l’homme.

Les vendanges de Dionysos

L’écriture picturale de Jean Brandy est caractérisée par un attrait pour le monde minéral et pour le travail de la matière, qui s’est révélé avec le sable dans la série des Nautiles avant de trouver un prolongement dans la céramique, mettant en valeur le relief et la sensation tactile, alors que la peinture en deux dimensions de celui qui reste peintre, dessinateur et coloriste sort métamorphosée de ces expérimentations formelles.
Porté par le souffle des Muses, l’artiste niçois a su se pencher sur les Dieux et les Héros de l’âge d’or pour redonner vie à Prométhée, Zeus, Héraclès, Athéna, Héra et tant d’autres. Les huiles et acryliques sur toile et les gouaches de cette série font jaillir, comme un cri, un appel à la clarté. La composition, ayant recours à des plans arrêtés et à un dessin volontairement schématique, organise un espace dans lequel le rythme contient l’expressivité, tandis que la palette ménage d’audacieux contrastes remettant à l’honneur la riche polychromie oubliée de l’art grec antique.
Les impressions qui naissent de ces scènes charmantes au sens d’un envoûtement magique sont celles d’une féerie chatoyante, plaisante et gaie jusque dans le tragique.
Cette maîtrise apollinienne d’une lumière toute d’intelligence et de mesure permet de renouer avec un gai savoir dont l’artiste, en bon Alcyonien, pouvait déplorer l’absence dans un monde contemporain écrasant qui méconnaît selon l’énumération nietzschéenne, les pieds légers, l’esprit, le feu, la grâce, la grande logique, l’insolente spiritualité, la danse des étoiles, les frissons de la lumière du Midi, la mer lisse, la perfection...
Autant de traits qui s’épanouissent au cœur d’un art dont le propos est de « fixer l’éternité mouvante dans sa forme momentanée ». (Georges Nuyssen)

Athéna et Tirésias

Les poèmes d’Yves Séméria ? En voici quelques-uns :

ZEUS

Tonnant, détonnant, étonnant,
Son foudre ronflant,
Pétaudant immensément,
Épouvantable, épouvantant
Les nuées et les tout petits hommes,

Zeus devient terrifiant,
Formidablement puissant,
Effrayant dans l’amour

Mais toujours vaincu par l’amour.
Qui peut le plus peut le moins.

LES VENDANGES DE DIONYSOS

C’était au temps où Dionysos était encore un dieu
sérieux. Il errait, gravement, sur la terre, au hasard
des chemins.

Or, un jour, écrasant par ennui une grappe de
raisin sur sa bouche, une étrange langueur le
saisit. Son ennui s’émietta ainsi qu’un biscuit sec.
Il se mit à rire, il se mit à danser.

Les nymphes et les génies accoururent et
goûtèrent à leur tour le malicieux breuvage.

Et désormais, si tout est vin, plus rien n’est vain.

Œdipe et le Sphinx

ATHÉNA ET TIRÉSIAS

Dans une eau nue et claire, nageait, nue, Athéna.
La source sacrée s’émiettait entre ses seins.

Une ombre, soudain, couvrit la chaste forme.
L’ombre de Tirésias. La nuit, aussitôt, peupla les
yeux de l’imprudent.

Ainsi, pour avoir vu l’absolue innocence, Tirésias
subit le supplice de l’éternité bizarre : connaître
l’avenir, vivre dans le présent, et ne plus jamais
partager l’innocence, ni de l’un ni de l’autre.

Céramique

ŒDIPE ET LE SPHINX

Œdipe, dit on, maîtrisa le sphinx.
Il épousa, dit on, sa mère.
Et de tout cela, qu’advint il ?

Résoudre une énigme, ce n’est rien. Derrière la
première, s’en cache une seconde ; au delà de la
seconde, une troisième. Ainsi à l’infini.

On ne cesse jamais d’énumérer le mystère du
monde.
On ne cesse jamais de susciter le tragique du
monde.

Le coq Alectryon


LE COQ ALECTRYON

Ayant cédé au moelleux sommeil de l’heure qui
précède l’aube, Alectryon fut condamné par Arès
à chanter, perpétuellement, le lever du soleil, afin
que d’importuns maris ne surprennent jamais les
amants oublieux.

Quoi, au fond, de plus immoral qu’un coq ?

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