Suite de la préface de Frédéric Altmann au catalogue de l’exposition « Mémoires de sable » au Centre International d’Art Contemporain de Carros en 2000.
Fin des années cinquante à Nice. De jeunes artistes exposent ensemble : Martial Raysse, Albert Chubac, Claude Gilli, Jean Roualdès, Paf Richard et Jean Brandy. Ils avaient pour la plupart vingt ans. Jean Cocteau fut leur parrain. C’était à la galerie Longchamp. A cette époque la plupart des artistes vivaient encore dans le sillage de l’Ecole de Paris, avec une admiration certaine pour Nicolas de Staël. Les fondements de l’Ecole de Nice commençaient à poindre avec Arman, Yves Klein et le dynamiteur numéro 1 : Ben. Le critique d’art Jacques Lepage en fit sa doctrine sacro sainte.
Certains artistes ont compris le nouvel enjeu en sortant des redites de l’histoire de l’art, en passant du chevalet et des couchers de soleil à la Compression, à l’Accumulation et au Néon. Un dépoussiérage complet, « l’hygiène de la vision » dira en substance Martial Raysse qui entra à grandes enjambées dans le monde des Nouveaux Réalistes, avec le succès que nous lui connaissons. Albert Chubac jongla depuis sa tanière d’Aspremont avec les couleurs et les formes géométriques. Claude Gilli s’empara des Ex-Votos et coulées de couleurs. Roualdès a disparu. Paf Richard interroge toujours les sillons de la gravure...
Quant à Jean Brandy, il poursuivra sans relâche sa vocation première, hors les modes et les écoles : la peinture, en inventant un monde imaginaire qu’il a construit en projetant comme des étoiles sur la toile du sable coloré. En montrant l’œuvre de Jean Brandy à Carros, nous poursuivons sa route, en revisitant son univers poétique qui mérite une nouvelle lecture, au grand jour. (Frédéric Altmann, directeur du CIAC)
Dans le même catalogue, nous avons le plaisir de retrouver une belle évocation du chemin de Jean Brandy par son fils Frédérik, déjà collaborateur de Frédéric Altmann au CIAC en 2000 :
Jean Brandy, un parcours, par Frédérik Brandi
Corse d’origine, mais né à Bourg en Bresse, Jean Dominique Brandi passe son enfance sur la Côte d’Azur, à Beaulieu sur Mer. Elève de l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice dès 1951, il conserve du maître François Bret un goût du travail passionné, de la construction et de la forme. Jean Cocteau, particulièrement frappé par une des premières expositions de ce jeune peintre qui rêvait de concilier la rigueur de Braque et la sensibilité de Bonnard, avait su reconnaître en lui « un poète ».
A la fin des années cinquante, il participe à la création du groupe des « Peintres de vingt ans », aux beaux jours de la galerie Longchamp, qui vit débuter tant de talents. Ses premières années d’activité le situent en compagnie d’une certaine avant garde, puisqu’il expose durant cette période aux côtés de Chubac, Gilli, Raysse et Roualdès, à Nice, Saint Paul ou encore à Bruxelles. L’artiste, qui décide de légèrement bousculer son état civil pour désormais signer « Brandy », s’impose d’abord comme un peintre de la lumineuse Provence et obtient en 1958, à 24 ans, le Prix de la Biennale de Menton à la « Jeune Peinture Méditerranéenne ». L’année suivante l’Etat lui achète sa toile sélectionnée au Salon des Tuileries. Il reçoit également le Prix du Press Club de la Côte d’Azur en 1963 et commence alors à être connu des collectionneurs des Etats Unis, du Canada, d’Allemagne, de Belgique ou de Suède.
Fidèle en amitié et en admirations il faut citer ici les noms d’Abello, de Borsi, de Gouttin ou de Vigny mais farouchement indépendant dans le domaine de la création, il s’investit très tôt dans un engagement pictural qui ne se démentira jamais. Si on peut parler de périodes bien définies, parfois expérimentales, toujours marquées par un grand souci d’honnêteté et par une souveraine maîtrise technique, on peut retrouver dans son œuvre un même regard transversal, un même univers.
Au milieu des années soixante, Brandy tente une extraordinaire aventure et fait table rase du passé. Avec l’apport d’un matériau nouveau et éternel, le sable, il entreprend, au terme de plusieurs mois de recherches personnelles, une profonde rénovation de son art. Fréquentant désormais assidûment la région de Saint Auban, il parcourt la montagne niçoise et le Verdon avec des amis spécialistes en géologie et se passionne alors pour les formes fossiles, ces « nautiles » qui vont pendant quelques temps hanter son travail. A partir de projections de sables aux grains divers qui sont ensuite colorés, il crée des œuvres d’une présence et d’une chaleur stupéfiantes, car il s’agit évidemment ici plus de poésie que de science.
L’expérimentation de techniques nouvelles marque une constante dans le parcours de Brandy, et cet attrait pour le monde minéral et pour le travail de la matière trouvera un prolongement inattendu dans les céramiques qu’il inventera littéralement dans ses ateliers de Nice au cours des années suivantes.
« La crevette », peinture et sable/toile (1966-68)
Toujours en quête de changement, c’est avec la bienveillance d’amis philosophes et hellénistes qu’il décide de réaliser l’étonnante série de Mythologies, présentée en 1976 à la Boutique d’Art, la galerie qui l’avait encouragé à ses débuts, de nombreuses années auparavant. Dans les lignes claires et fraîches de ces œuvres inspirées par les légendes de la Grèce antique, reflets d’un temps « où quatre mille Dieux n’avaient pas un athée », on discerne à la fois une tentative d’exorciser le mythe par l’art et une quête constante visant à retrouver l’homme à travers des thèmes empreints de quotidien comme de sacré.
Sa sensibilité d’artiste, en attente dans son travail de chaque jour Jean Brandy était professeur de dessin trouve aussi une expression dans l’exécution de décors de théâtre, dans l’illustration de livres et de poèmes, et même dans la conception de « grands travaux » qui laissent une trace non négligeable sur des sites et des bâtiments de Nice. Sa ville d’adoption a d’ailleurs été une de ses grandes sources d’inspiration, et il l’a sans cesse représentée dans des gouaches aux couleurs éclatantes.
En 1986, abandonnant toute autre activité, il entreprend la réalisation du monumental Chemin de Croix qui ornera l’église de Saint Auban. Comme Matisse pour qui le Chemin de Croix n’était pas une procession, mais « le drame le plus profond de l’humanité », Brandy voyait dans le calvaire du Christ « un symbole universel et humain avant d’être religieux ». Ces quatorze panneaux de bois de grandes dimensions, conçus spécialement pour l’église de Saint Auban, sont le fruit d’une intense recherche spirituelle et d’un impressionnant travail technique, avec une préparation particulièrement minutieuse inspirée de celle des peintres de la Renaissance. Cette œuvre reconnue et que l’on vient admirer de loin représente l’aboutissement d’une histoire conjuguant le talent et l’amitié, l’attachement d’un homme à une Cité. Jean Brandy, qui avait choisi Saint Auban comme patrie du cœur, a voulu par ce Chemin de Croix marquer le passage de certaines personnes qui lui ont été chères et honorer leur mémoire.
Il faudrait également évoquer les visions inquiétantes d’une Camargue si peu touristique, les incessantes recherches formelles, la sobriété des dessins érotiques, ou encore la récurrence du thème de l’oiseau comme idéal de liberté, prêt à s’échapper par de multiples « fenêtres ouvertes sur le monde », pour pleinement rendre compte d’une peinture franche, lucide, infiniment poétique, qui est restée l’expression fondamentale d’une personnalité attentive à tous les événements de la vie, à tous ses problèmes. Dans la mesure où l’âme demeure vigilante quand le corps est blessé et permet le miracle de l’énergie et du courage. Entouré de sa famille sur les hauteurs de Carros, Jean Brandy supporta en effet la lourde épreuve de la maladie avec une dignité exemplaire et un courage indescriptible. Son ultime exposition à la Rotonde de Beaulieu sur Mer, qui fut alors saluée comme le retour de l’enfant du pays, montra des œuvres en dehors de toute souffrance, continuant le peintre clair, sensible, méditerranéen, proche de la terre et du ciel. (Frédérik Brandi)
Notes d’atelier de Jean Brandy
C’est là que le désir vient d’écouter Jean Brandy lui-même à travers des Notes d’atelier qui résonnent comme une musique de sueur et non d’inspiration mais de respiration : l’on y sent bien son souffle nous enseigner la création :
Le peintre travaille plus avec son esprit qu’avec son œil ; le spectateur fait l’inverse en général. Il n’est pas étonnant que le contact soit difficile.
Il serait de peu d’importance que diminue le rôle de cet organe de fortune qu’est la main si tout ne montrait pas que son activité est étroitement solidaire de l’équilibre des territoires cérébraux qui l’intéressent. Le déséquilibre manuel a déjà partiellement rompu le lien qui existait entre le langage et l’image esthétique de la réalité. Ce n’est pas coïncidence si l’art non figuratif est contemporain d’une technique démanualisée.
(A suivre)